Je déteste ce film. Je l'aime beaucoup. Je le connais tellement, et tellement d'autres films de Wenders que j'aime bien s'en inspirent que je ne sais plus bien quoi en penser.
Paris, Texas est sorti en 1984, époque difficile pour le cinéma avec le développement de la vidéo et l'échec du Nouvel Holliwood. C'est l'époque des néopolars qui se ressemblent tous un peu. C'est un road-movie qui parle de recherche d'identité et de paternité, avec de très beaux plans de bretelles d'autoroute, de collines verdoyantes de Californie du Sud, de désert mojave du Nouveau Mexique au Texas, des paysages urbains lisses et impénétrables, à la fois minéraux et réels.
Ce qui me frappe à chaque fois dans le début, c'est la manière dont les personnages semblent incrustés dans les paysages comme s'ils avaient été découpés d'un fond vert, la manière dont le bleu du ciel, les couleurs criardes des vêtements des personnages et l'aspect lumineux du paysage désertique semblent iréels, comme au début du Technicolor. Ce côté très travaillé donne un grand sentiment d'irréalité, une apesanteur éthérée, un sentiment de postmodernité radicale. La composition des plans, le rythme très lent, très étiré et le jeu sur les couleurs dans les scènes de nuit (éclairages rouges, verts...) donnent une impression de schématisme des personnages.
A mesure que le personnage de Travis est développé, que son mutisme disparaît, l'identification et le mélodrame reprennent leurs droits et cette impression d'étrangeté radicale s'estompe, sans disparaître complétement. Des scènes attachantes, originales, comme celle où Travis et Hunter remontent de l'école à pied, chacun d'un côté de la route, et jouent à répéter les mêmes mimiques.
Film complexe, qui se veut d'abord une vision de l'Amérique des années 1980 vue depuis la voiture : ses paysages mythiques qui semblent inaccessibles, dans lequel l'Homme n'a pas sa place, et ses grandes villes comme Dallas, froides et démesurées, dont on ne peut comprendre le schéma qu'en prenant de la hauteur.
Mais c'est également l'histoire d'une famille qui doit se recomposer dans un monde de modernité. Le contact ne peut passer que par des intermédiaires technologiques : un miroir sans tain (la fameuse séquence du peep-show), des talkie-walkies, un téléphone de peep-show. Nous qui échangeons davantage via internet que de visu, pouvons-nous encore comprendre ce que cela avait de visionnaire en 1984 ? Je ne sais vraiment pas.
Ce qui me chiffonne, c'est que ces deux ambitions ne s'articulent pas entre elles, elles sont traitées de manière juxtaposée, disjointe. Je n'arrive pas à "sentir" le rythme de ce film, de même que je n'arrive pas à être ému par la musique de Ry Cooder, tant elle me semble soudée, indissociable du film. Idem, le casting est tellement évident et parfait qu'il semble impossible de l'imaginer autrement, et donc évaluer le jeu d'acteurs me semble hors de propos.
Voilà toutes les raisons pour lesquelles je n'arrive pas à analyser Paris, Texas, à en penser quoi que ce soit. C'est moins un film qu'un objet qu'il faut accepter tel quel, que l'on peut aimer et détester à la fois, en tout cas auquel on revient de temps en temps. Je l'aime bien moins que Les ailes du désir, mais je ne peux pas nier son existence, je dois l'accepter.