Fermer les yeux et se boucher les oreilles

Le premier plan du film est un plan d'abord fixe, puis suivant une mère et sa fille, prenant un raccourci aux écarts de la ville. Quelle ville, on n'en sait rien, elle pourrait totalement être fictive, avec son aspect presque post-apocalyptique de vieux immeubles surplombant des collines sans vie. C'est bien là une des forces de Partisan, de jouer sur le rapport entre social et univers fictionnel, un peu à la manière de Neill Blomkamp (sans que ce soit SF bien sûr). Comme dans Chappie d'ailleurs, le sujet du film est l'embrigadement d'un ou plusieurs êtres au départ neutre de toute idéologie. De comment une éducation peut influer sur le comportement d'une personne, et le rapport de force entre cette éducation et son milieu.


Sauf qu'ici, le point de vue est strictement celui de l'enfant. Pas une scène n'existe sans au moins un enfant dans le champ, où si c'est le cas, aucune explication n'est donnée sur le contexte du film, le comportement des personnages, les raisons qui les poussent à agir, leur passé. Cela peut paraître frustrant, mais je trouve au contraire que cela fait vraiment parti du charme et de la richesse du film. Comme l'enfant, nous somme étranger au monde extérieur et le découvrons en même temps que lui. Nous ne connaissons pas les adultes et notamment le personnage de Gregori joué par Vincent Cassel. Au fond, connaissons-nous vraiment ceux qui nous ont élevé, ou en tout cas pourquoi ils l'ont fait de cette manière ? D'ailleurs le premier plan du film commence à hauteur d'enfant, et il se finira de la même manière au cours d'un des panoramiques les plus puissants que j'ai vu cette année.


Le "gourou" Gregori est de toute évidence représenté comme une figure christique, portant une poutre en début de film telle une croix sur son dos. La fontaine du "village" composée d'une statue à portée religieuse (Sainte Vierge ?) est également filmée à deux reprises avec insistance. Les enfants idolâtrent Gregori, qui semble porter le fardeau de leur éducation, celui de les préserver du monde extérieur. Préservation dont la meilleure illustration sont les boules quies que les enfants mettent quand ils partent en "mission". Une préservation hypocrite, dangereuse et inutile. On pourrait quasiment rapprocher le film au mythe de la caverne, sauf qu'ici le monde extérieur est trop fort pour être ignoré, et la peur vient plutôt de l'intérieur contrairement à ce que Gregori veut faire penser.


Le film est ainsi composé de nombreux contrastes, mettant en rapport le pessimisme du monde représenté et l'innocence des enfants. Enfants qui se promènent en vélo boosté par un moteur, qui mettent des casques de moto avec des visières en paillètes, qui chantent des chansons aux paroles un peu trop sombres pour leur âge (formidable séquence d'ailleurs). Contraste entre les murs miteux du village et les meubles absolument magnifiques et brillants. Entre l'ambiance glauque et la musique pop électronique, bien trop souvent utilisée dans les films en ce moment mais qui illustre parfaitement ici le décalage temporel dans lequel évolue les personnages.


Il aurait fallu développer un peu plus le contact avec le monde extérieur et déstructurer le déroulement du scénario pour en faire véritablement un petit chef d'oeuvre, mais plus j'écris cette critique plus je trouve décidément le film réussi.


Et puis putain comment ne pas mentionner ce plan de fin, abrupt mais tellement riche de vérité sur l'ensemble du film, où le magnifique paradoxe est tel que l'éducation de Gregori fonctionne et échoue à la fois, représente l'éveil de l'enfant et en même temps la preuve définitive qu'il a sombré.

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le 22 mai 2015

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Antofisherb

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