Le film de Maurice Pialat se conclut sur une jeune fille enceinte affalée dans un fauteuil avec un magazine couvrant son ventre. On peut y lire à l’envers, en grosses lettres rouges et jaunes, alourdies par un effet de perspective, l’expression "l’entreprise et les hommes". Elle balaie alors le magazine pour se lever et rejoindre sa mère en pleins préparatifs du mariage à venir.

Cette expression et ce mouvement, finissant de figurer l’entrée en scène de la jeune fille dans sa vie d’adulte, et dans "l'entreprise de la société", sont des clés importantes pour réinvestir après coup le sens filé par le long-métrage.

Car si Pialat fait état de cette condition adolescente dans le nord de la France, de cette transition entre l’enfant et l’adulte imagée dans le film par le fait de passer ou non son bac, il fait aussi et surtout état de la règle immuable à respecter pour assurer au mieux cette transition : la capacité à savoir se mettre en scène. Qu’il soit question de se mettre en scène lors de disputes ménagères (une "scène" redoutée par une des jeunes filles en conflit avec son mari ou encore une mère éplorée qui s’écroule avec surjeu devant l'inconséquence de sa fille), de feigner de futurs couples en jouant à des chaises musicales amoureuses, ou encore dans les discussions à tenir face à des adultes ayant déjà bien rodé leur propre rôle (un maire, un supporter de foot ou un prof de philo).

Derrière la caméra, Pialat ne fait pas plus que ce qu’il a déjà pu faire dans L’Enfance nue. A savoir filmer la société dans un profil le plus naturel possible. Tout en veillant à mettre en porte-à-faux le spectateur entre la tendresse et la misère sous-jacentes qu’il peut ressentir face aux personnages. Ce grand écart profite largement des interprétations des uns et des autres, qui font semblant de faire semblant pour rappeler au spectateur qu’il ne fait pas autre chose dans son quotidien qu’être l’acteur de son propre rôle, l’artisan de ses propres postures. Sans qu’aucune des trajectoires de ce teen-movie ne passe au final pour des impostures.

Une dernière chose intéressante est à noter avec le personnage de l’homme qui drague les adolescentes et les invitent à manger. Car si Pialat s’occupe surtout à représenter des enfants qui investissent des vies et des corps d’adultes, il ne manque pas avec ce vieil enfant d'illustrer une inflexion à ce contrat social où même les grands rêvent parfois de faire le chemin inverse pour réinvestir leur adolescence. Mais là encore, ce rêve n'est vécu que comme une anomalie dans le film, car pour en revenir à l'image de fin, ce sont bien les mots "l'entreprise et les hommes" qui écrasent ce ventre plein d'une vie nouvelle. Celle-ci étant alors obligée, sous le poids de ces mots, d'admettre l'idée qu'elle devra aussi un jour jouer le rôle de sa vie, petite ou grande, qu’elle le souhaite ou non.

-Thomas-
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le 28 juil. 2022

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Vagabond

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