Lorsque s'appeler De Palma ne suffit plus...

Passion est le film typique, le cliché ambulant du cinéaste qui finit sa carrière uniquement sur sa réputation. Sorti en 2013, ce film de Brian de Palma est malheureusement son dernier en date, et reste à ce jour son moins abouti, même s'il reste clairement sur sa forme un "De Palma".
Le cinéaste avait déjà démystifié son univers et sa patte sur Mission Impossible mais celui ci avait le mérite d'avoir cartonné et ensuite il s'est lancé sur le projet assez ambitieux et assez catastrophique de Mission To Mars qui a porté un coup à sa carrière.


Donc avec Passion, De Palma renoue avec ses amours d'enfance, ses thématiques préférées, les femmes fatales, l'érotisme, le voyeurisme, la jalousie maladive et la paranoïa, le thème du double maléfique, ça ne vous rappelle rien tout ça ?
Eh bien si ! Le style du cinéaste dans toute sa splendeur, cette patte si unique qui a donné naissance à des excellences du genre : Pulsions, Blow Out, Carrie, puis des monstres sacrés du septième art un peu plus fantasques qui sortent du registre comme Phantom of the Paradise ou Scarface...
Mais alors pourquoi le film se casse la figure alors, s'il est si pertinent et si typique du style du réalisateur ?
Parce que l'idée de départ est bonne, et son traitement l'es moins, beaucoup moins.
Il ne suffit pas de créer un jeu malsain dans un film pour créer un deuxième Blow Out, il ne suffit pas de miser sur la sensualité féminine afin de pondre un énième Pulsions, ni d'insérer un split screen pour rappeler que l'artiste est aussi le père de Carrie.
L'alchimie entre McAdams et Rapace ne fonctionne pas du tout, il n'y a pas de relation établie, le film s'ouvre sur deux femmes, dont on ne sait pas pourquoi elles sont si proches, et ensuite on apprend qu'elles se connaissent depuis 8 mois et qu'elles n'ont rien d'autre qu'une relation professionnelle, rien n'est développé quand aux antécédents amoureux d'Isabelle, et rien n'est enrichi tout au long du long métrage, si bien que je ne savais toujours pas à la fin quelle était son orientation sexuelle ! Comment voulez vous avoir de l'empathie pour un personnage que vous ne connaissez pas ?
Et pourquoi elle ? Pourquoi manipulation, séduction, provocation ? Christine n'est pas mieux lotie, le jeu malsain apparaît comme par magie, en moins d'un plan dans la voiture d'Isabelle, le personnage de femme d'affaires respectable et autoritaire se transforme en monstre manipulateur dénué de sentiments en deux secondes à tout casser, c'est...brusque et malvenu.
La ribambelle de seconds rôles n'est pas exceptionnelle, que ce soit l'homme au centre d'un triangle amoureux pris dans cette toile de conspiration qui est complètement dispensable, ou cette assistante à l'importance à l'effet "yo-yo". La fin sent mauvais à des kilomètres, prévisible, et est insérée sans réelle virtuosité ni intelligence narrative.
L'aspect technique est négligé, un split screen assez dégueulasse (la scène du ballet est d'un gêne sans nom...), des jeux de miroirs ratés. Le travail sur les décors est quand à lui minimisé, pas au niveau.
Au niveau de quoi me direz-vous ? Au niveau d'un De Palma bon sang ! Le bonhomme est non seulement connu pour ses thèmes cités plus haut, mais aussi pour sa conception technique impressionnante, il suffit de visionner son travail des années 1970-1980 pour voir à quel point la forme du film est importante pour situer l'intrigue et les personnages, et cette atmosphère, de par ses jeux de miroirs, reflets, décors tape à l'oeil, etc, devient un acteur à part entière d'un film de De Palma. Ici, le long métrage se plante, car l'atmosphère n'est pas mémorable et ne participe en rien à l'authenticité du film et de ce qu'il raconte. Les décors qui sont d'ordinaire étirés, larges, débordant de luxure et de couleurs ultra contrastées, sont ici dénués de la moindre démesure, confinés, banals, comme si c'était le fruit d'un étudiant en école de cinéma qui avait voulu faire du De Palma.


Ce film est une volonté de De Palma de nous faire voir le cinéaste si unique qu'il était autrefois, un peu comme un film testament, afin d'engager un genre de respect vis à vis de l'oeuvre globale de l'artiste et non simplement de son dernier film indépendamment du reste de sa carrière. En tout cas j'ai cette détestable impression.


Je citerais l'exemple d'un autre film, vraiment pas du tout du même registre et ayant un impact différent mais illustrant parfaitement l'idée qui me vint à l'esprit à la fin du visionnage de Passion. Le Choc des Titans qui est aussi le film testament du concepteur d'effets visuels Ray Harryhausen, le dernier film où apparaissent ses créatures en stop motion sur les effets spéciaux de ce maître du genre. Certains considéreront ce film comme le plus notable de son formidable travail. Pourquoi ? Parce que le travail surpasse la notoriété, et le talent est travaillé dans ce film.


Dans Passion, le cinéaste nous montre l'envergure de son impact, de son art, en reprenant les mêmes thématiques que ses précédents films, mais en se reposant uniquement sur sa notoriété, sans innover, sans pousser plus loin, en se contentant du minimum.
Passion est une leçon au sein du Septième Art, celle qui montre qu'un nom ne fait pas tout, et que même les plus grands cinéastes ne peuvent faire confiance qu'à leur réputation et que le travail est nécessaire. Car dans Passion, le talent est là, mais non utilisé. Un peu comme si vous étiez un fin matheux, et que vous persistiez à n'avoir que la moyenne en mathématiques.

Tom-Bombadil
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le 17 déc. 2017

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