Les premières images de "Paul Sanchez est revenu !" sont emblématiques : de la Provence, on ne voit que de laides constructions commerciales comme celles qui défigurent tout le paysage péri-urbain français : tout le film - magnifique - de Patricia Mazuy va nous parler de cet écart entre l'image / les rêves (la majestueuse Roquebrune, les piscines à côté du pavillon, les 4 x 4 rutilants, la réussite du journaliste reconnu, la reconnaissance d'un gendarme ayant réussi à capturer un fugitif activement recherché, etc.) et la réalité (la clochardisation de Paul Sanchez, le manque d'argent, le mépris généralisé dans la société, etc.).


Bien sûr, "Paul Sanchez..." ressemble à un thriller à l'américaine, avec son tueur fou qui menace une petite ville, son enquêteuse obnubilée et peu respectueuse de sa hiérarchie, et même son joli petit twist... voire parfois à un western avec Roquebrune comme Monument Valley, mais ce n'est qu'un faux semblant. Un faux semblant d'ailleurs exploité un peu sans vergogne par la Bande Annonce, qui décevra forcément nombre de spectateurs avides d'intrigues bien troussées et de logique imparable. Ce que fait Patricia Mazuy est bien plus malin que ça, elle nous prend au piège de notre propre désir de fiction - tout en parsemant son film d'avertissements bien visibles que ce que nous voyons n'est pas ce que nous croyons -, exactement comme ses personnages sont pris au piège par cet écart entre rêves et réalité. Elle nous berce, nous endort avec de petites plaisanteries sympathiques, des personnages vaguement farfelus et une musique grinçante et bringuebalante (merci, John Cale !)... pour mieux nous balancer une méchante paire de claques : comme le vocifère Laurent Lafitte, qui trouve ici son meilleur rôle, écumant, enragé, "tout ça c'est que de la merde !". Les piscines restent vides et inachevées, la gloire est un horrible mensonge télévisuel nauséabond, la vérité est dissimulée au vu et su de tout le monde sur un poster publicitaire ou une photo de famille, l'amour une vaste fumisterie, le couple un enfer hurlant...


Seule la haine... ? Peut-être pas, les dernières images suggèrent qu'on peut bel et bien disparaître : comme Paul Sanchez, comme Marion, comme vous et moi... Chiche ?


[Critique écrite en 2018]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Magazine : https://www.benzinemag.net/2018/08/03/paul-sanchez-est-revenu-un-film-noir-aux-accents-burlesques/

EricDebarnot
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2018 et Les meilleurs films français de 2018

Créée

le 1 août 2018

Critique lue 1.5K fois

23 j'aime

4 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 1.5K fois

23
4

D'autres avis sur Paul Sanchez est revenu !

Paul Sanchez est revenu !
SanFelice
8

Soupçons

Paul Sanchez est revenu ! a tout du film policier français, du moins en apparence. Nous avons une brigade de gendarmerie du Var, prise avec les soucis quotidien des habitants. Nous avons le...

le 2 mars 2019

24 j'aime

Paul Sanchez est revenu !
EricDebarnot
8

"On est tous Paul Sanchez !"

Les premières images de "Paul Sanchez est revenu !" sont emblématiques : de la Provence, on ne voit que de laides constructions commerciales comme celles qui défigurent tout le paysage péri-urbain...

le 1 août 2018

23 j'aime

4

Paul Sanchez est revenu !
Cinephile-doux
4

L'assassin et la gendarmette

Depuis 30 ans, Patricia Mazuy poursuit sa route loin des modes avec son cinéma singulier et original, de Peaux de vaches à Sport de filles, en passant par Saint-Cyr. Paul Sanchez est revenu ! ne fait...

le 18 juil. 2018

14 j'aime

4

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

99

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

183 j'aime

25