Paul Sanchez est revenu ! a tout du film policier français, du moins en apparence. Nous avons une brigade de gendarmerie du Var, prise avec les soucis quotidien des habitants. Nous avons le journaliste local, qui aimerait bien sortir du monde des infos locales et ne cache pas ses ambitions. Et nous avons un homme qui erre dans l'arrière-pays, tente d'acheter une voiture (ce que sa carte de crédit refuse obstinément) et va de ville en ville.
Et puis il y a la rumeur annoncée dès le titre : Paul Sanchez serait de retour. La gendarmerie accueille l'info d'un air blasé : comme toute célébrité criminelle dont la fuite est médiatisée, Paul Sanchez a été aperçu absolument partout, et cette rumeur qui vient du côté de Roquebrune sur Argens s'ajoute aux trop nombreuses autres rumeurs déjà répandues depuis dix ans.
Car cela fait dix ans que l'on cherche Paul Sanchez, principal suspect dans l'assassinat de sa famille. Et nous, en spectateurs chevronnés que nous sommes, on ne nous la fait pas. Il ne nous faut que quelques minutes pour saisir les enjeux du film, ce qui se trame entre ce Laurent Lafitte qui joue le mystérieux vagabond, cette (très belle) Zita Hanrot en gendarmette perspicace et cet Idir Chender en journaliste à l'affût. On devine tout. On comprend tout.


Et on se plante.
L'un des grands avantages de ce film, c'est la capacité qu'a Patricia Mazuy à jouer avec les attentes du spectateur, à les déjouer, à briser les codes du policier français (tout en les respectant, d'ailleurs). Nous voici avec un film qui est constamment inattendu. Impossible de dire ce qui va se passer dans la scène suivante.
Impossible aussi de classer le film. Une intrigue policière, certes, du bon vieux drame des campagnes, mais aussi une intrusion improbable de l'humour. Il faut voir ce personnage du commandant, constamment à côté de la plaque. Paul Sanchez est revenu ? Ouais, c'est ça, mais en attendant une vieille est tombée en glissant sur une merde de chien, donc on y va et on verbalise tout, aussi bien les déjections canines que les capotes usagées !
De fait, il faut bien admettre qu'elle est gratinée, cette brigade de gendarmerie. On pourrait facilement les classer aux côtés des improbables policiers que l'on rencontre chez Bruno Dumont ces derniers temps. Et, au passage, le GIGN ne vaut guère mieux...
Là aussi, on se dit en terrain connu : heureusement qu'il y a notre fliquette pour remonter le niveau...


Sauf que...
Sauf que rien n'est simple dans ce film. Patricia Mazuy s'amuse à brouiller les pistes, et ce sont les personnages qui en font les frais. Tous nos personnages sont indéchiffrables (comme dans la vraie vie, tout simplement). Personne n'est réductible à une posture ou une attitude. Paul Sanchez est revenu !, c'est l'ère du soupçon qui menace tout le film. Cette gendarmette, elle est belle et intelligente, certes. Mais ne serait-elle pas aussi un peu manipulatrice ? On conservera tout le temps le soupçon : sa relation avec le journaliste, c'est par amour, ou c'est pour bénéficier du contact avec Paul Sanchez ? Et ce final, il est troublant aussi, dans sa façon de ne rien conclure justement...
Pour savourer ce film, il faut admettre une idée : on ne saura jamais. Le soupçon se propage dans tout le récit et en chamboule entièrement la structure. On se croit dans un polar, on découvre une comédie. On a à peine le temps de s'installer dans la comédie qu'elle vire au drame social. On est convaincu que Lafitte est Paul Sanchez, mais on découvre une autre identité (Didier je-ne-sais-plus-quoi). Mais le doute est toujours là : ce Didier semble être apparu il y a sept ans, Sanchez a disparu il y a dix ans, ça pourrait être lui... D'autant plus que notre personnage est totalement incohérent dans ses propos. Là aussi, le doute s'installe : un fou ? Ou un criminel de génie qui brouille les cartes ? Simplement quelqu'un qui veut qu'on s'intéresse à lui ?
Résultat : ce qui était obligatoirement faux à un moment du film devient totalement plausible une demi-heure plus tard, et inversement. Et finalement, on ne sait plus.
C'est cette ambiguïté, cette capacité incroyable à jouer avec les codes du genre pour brouiller les pistes et embrouiller les spectateurs, qui constitue, selon moi, la qualité majeure du film.


Dans ce film, on s'interroge beaucoup, on rit beaucoup, on est ému par le jeu des acteurs... Et puis il y a un petit quelque chose en plus. C'est pas clairement défini, dans un impression en filigrane. L'absurdité du monde dans lequel se déroule le film, avec des personnages qui nous demeureront à tout jamais inconnus, avec son absence totale de vérité stable et de faits incontestables, ce monde (qui est le notre) dégage une impression d'angoisse. C'est fin, c'est subtil, mais ce monde constamment mouvant et insaisissable est vite angoissant. Il y a quelque chose de kafkaïen là-dedans : l'être humain n'a aucune prise sur les événements, le spectateur est constamment déstabilisé.


Et encore plus en découvrant le final : tout ce récit est celui du journaliste, donc non seulement subjectif, mais totalement sujet à caution. Donc tout s'enfonce encore plus Vous l'entendez, le rire de la réalisatrice ?


En bref, voilà un film pour spectateurs aimant bien être dérangés dans leurs habitudes. C'est tellement rare que ça en devient précieux.

SanFelice
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le 2 mars 2019

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