Concernant Yorgos Lanthimos nous étions restés sur le magnifique et très sophistiqué La Favorite voilà désormais six ans, long métrage ayant déjà pour principale tête d'affiche la superbe Emma Stone. Nous retrouvons donc en ce début d'année 2024 le cinéaste et son actrice fétiche en la forme de ce Pauvres Créatures, étrange promenade hallucinée dans les arcanes scientifiques d'un curieux chirurgien transplantant la matière grise des nourrissons dans la caboche des femmes enceintes et suicidées.
Braque et baroque le nouveau film de Lanthimos monte de plusieurs crans le degré d'outrance visuelle et artistique de ses précédentes productions. Formellement fidèle à son auteur-réalisateur (l'utilisation récurrente du fish eye et celle du très grand angle confèrent pratiquement à la lassitude voire à l'exténuement le plus rédhibitoire...) Pauvres Créatures a pour lui son amour pour les freaks et les bizarreries les plus extrêmes, jalonné çà et là de situations nonsensiques et de coquecigrues semblant rejoindre l'absurdité sociétale d'un The Lobster ; par ailleurs la perversité morale inhérente au personnage incarné par Mark Ruffalo et celle - dans une moindre mesure - du mentor interprété par le résolument étonnant Willem Dafoe évoquent de manière lointaine le grotesque d'un Canine, à ceci près que la froideur clinique du film pré-cité se voit ici remplacée par une esthétique fièrement débridée et littéralement haute en couleur.
Grinçant, délirant voire savamment abracadabrant Pauvres Créatures s'inscrit néanmoins dans l'air d'un temps sujet aux préoccupations du genre et d'une féminité drôlement vengeresse. De ce point de vue le portrait de la figure campée par Emma Stone rend gloire au désir féminin sous sa forme la plus ouverte et la plus décomplexée, balayant d'un seul regard azimuté les tabous sociétaux les plus arriérés. La photographie vitriolée, accouplée à une composition musicale des plus dissonantes achève de rendre le nouveau métrage de Yorgos Lanthimos complètement dingue ou du moins rondement déviant et déconcertant, doué d'un chapitrage narratif n'étant pas sans rappeler le Lars Von Trier de la dernière heure et d'une plastique tordue et tortueuse évoquant le cinéma cintré d'un Terry Gilliam façon Las Vegas Parano...
Si l'auteur de ces lignes préfère quant à lui le Yorgos Lanthimos d'un Canine ou d'un The Lobster le refus d'une redite artistique trouve ici en partie grâce à ses yeux. Le visage fantaisiste, quasiment intemporel de Emma Stone revient en mémoire longtemps après le visionnage d'un film plus pittoresque et moins cérébral qu'à l'accoutumée : avec Pauvres Créatures le réalisateur d'origine grecque semble avoir pris la tangente artistique la plus inattendue, enchaînant les visions les plus folles et les plus éminemment grotesques. Une véritable curiosité à voir impérativement, que l'on apprécie ou non le Cinéma de Lanthimos.