De base, je suis un cinéphile. Pour être franc, je me rappelle même avoir voulu devenir cinéaste au collège, tant le 7e art m'attirait de tous ses feux. Bon, il s'avère qu'au moment d'écrire ces lignes, je suis en études de physique, et de toutes façons, passer par les écoles de ciné aurait été beaucoup trop cher. Passons.
Si je précise ce point en introduction, c'est parce que Poor Things m'a fait réaliser quelque chose : je ne regarde plus assez de films. En effet, deux jours après son visionnage, je me rends compte que si j'avais eu une culture ciné débutante ou lacunaire, j'aurais crié au génie devant le dernier film de Yorgos Lanthimos. Pourtant, il y a de quoi : un film bien plus typé "art et essai" que Hollywood, une esthétique aussi tordue qu'époustouflante, Emma Stone (oui c'est subjectif)... tout cela ne suffit pas à en faire un chef-d'oeuvre, mais disons que le terreau est fertile ; et puis, pour revenir sur le visuel, ce n'est pas tant le synopsis ni la bande-annonce (je n'en regarde plus de toutes façons), mais l'affiche du film. Bon sang, que ça fait du bien de voir pareille oeuvre, là où ses contemporaines sont désespérantes de facilité et d'argument d'autorité ("gneu gneu 5641536 récompenses gneu gneu éloges journalistiques") !
Et puis... et puis vient le film.
Ce qui est bien avec Poor Things, c'est qu'il ne nous prend pas par la main. Entre les scènes crues (mais servant le propos, j'y reviendrai), la sensation de malaise - certainement volontaire - dans bien des scènes, notamment les scènes de baise, Lanthimos s'exprime pleinement, sans nécessairement chercher à performer pour les Oscars. Côté casting, Emma Stone, bien sûr, qui s'adapte parfaitement dans ce rôle de monstre bizarre, cette sorte de chimère (oui, c'est plus une chimère qu'un monstre de Frankenstein féminisé comme tout le monde le dit) ; il y a du surjeu, mais disons que cela cadre bien avec l'écriture de Bella. Le reste ne démérite pas, même si on regrette un peu la transparence de certains seconds rôles. Coup de coeur pour Mark Ruffalo, parfait dans ce rôle de Don Juan/manipulateur confiné à la folie face à l'anticonformisme de sa proie.
Hélas, si Poor Things est franchement réussi à bien des niveaux, le scénario est terriblement bancal. Une quête initiatique dans un XIXe siècle steampunk, c'est frais à défaut d'être original, sans compter le parallèle avec l'émancipation féminine/féministe qui crève les yeux. Cela ne suffit pas, cependant, à faire du film quelque chose de grandiose.
Typiquement, le fait qu'une fille faite femme trop vite se mette à baiser à tout va est suffisamment malsain et interrogateur, mais la surenchère de ce genre de scènes dessert le film. Attention, je ne dis pas qu'il ne faut pas filmer le cul, mais à force, en 2h30, c'est un peu excessif, et ce d'autant plus que le film est censé raconter une découverte plus générale du monde extérieur par Bella. À la rigueur, la séquence au bordel parisien est bien pensée, mais on aurait dû limite s'en tenir à là. Ensuite, Poor Things ne va pas assez en profondeur dans les thématiques et présente un personnage finalement naïf, très naïf, ce qui ne pose pas de problème en soi ; hélas, il n'est pas suffisamment poussé dans ses retranchements. Voir des pauvres mourir de faim à Alexandrie, ou bien découvrir que Duncan est un con est bien, mais c'est trop survolé. Même le twist de fin est trop téléphoné, et si le fait que Bella s'en sorte très bien en soi, s'arrêter à une image d'Épinal en guise de final fait de Poor Things un film au goût d'inachevé. En résumé, l'évolution de Bella est trop survolé, et par conséquent, souffre d'une superficialité détestable, comme un devoir de vacances excellemment bien écrit mais dont la portée est minime.
Poor Things est décevant, mais ce n'est pas une déception. Le film reste très intéressant et agréable à regarder dans l'ensemble, et il apporte un vent frais à un cinéma qui en a toujours besoin. Ceci étant, il faut bien prendre conscience de ce sacro-saint proverbe : "Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois". Dans le cas ici présent, le film de Yorgos Lanthimos surnage, mais avec plus de culture ciné, il est ramené à sa juste valeur, à savoir un bon film méritant un bien meilleur traitement scénaristique. Je conseille quand même.