Junior est un garçon de 9 ans aux cheveux bouclés, dont le rêve est de poser pour une photo comme chanteur à la mode avec une coiffure bien lissée. Il habite à Caracas avec sa mère et son petit frère de deux ans. Dans une ville grouillante où règne la violence qui s’immisce peu à peu à l’intérieur des sphères privées et où la survie est devenue un combat quotidien, le petit garçon cherche son identité. Entouré de femmes (sa mère, sa grand-mère paternelle et sa copine qui, elle, rêve de devenir miss), Junior cherche son identité en absence de repères masculins – la mort du père assassiné est juste évoquée. Il représente donc en quelque sorte l’écartèlement de la société vénézuélienne dans son ensemble : société à la fois matriarcale et très machiste, dans laquelle les hommes ont déserté le foyer en laissant le soin aux femmes d’élever les enfants, société également de l’apparence et de la masculinité. Pour l’heure, Junior a donc un problème d’identification, ne se reconnait pas lorsqu’il se regarde dans un miroir, tenant de démêler ses boucles et, par conséquent, s’affronte avec sa mère, sèche et désemparée, mal aimante envers un garçon qu’elle veut protéger en s’y prenant mal et en transférant sur ses frêles épaules le rôle de l’homme de la maison. La réalisatrice Mariana Rondón entretient à dessein une certaine ambigüité et laisse aussi dans l’ombre certaines zones du récit. Ainsi l’attrait de Junior pour le jeune épicier révèle-t-il les prémisses d’une tendance homosexuelle ou exprime-t-il juste la recherche d’une figure masculine ?

Mais une chose est sûre : l’existence à Caracas dans ces immeubles immenses et délabrés, vestiges de ce qui fut une véritable utopie urbanistique il y a un demi-siècle, largement influencée par les projets de Le Corbusier chez le grand voisin brésilien, est difficile, transformée en un combat de tous les jours où la solidarité de la famille ou des voisines s’émousse et où tout se marchande (une baise contre la promesse d’un boulot). L’apprentissage de Junior est nécessairement douloureux, quêtant l’approbation et le regard de sa mère, acceptant même un ultime sacrifice pour lui plaire.

À la lisière du documentaire, Pelo Malo (expression usuelle au Venezuela) est un film âpre et énergique, sans concessions. S’il questionne à sa façon la question du genre comme l’avait fait le plus élégiaque Tomboy, il entremêle également la trajectoire personnelle d’une famille et la chronique d’un pays gangréné par la violence politique et sociale. Comme si elle rejaillissait pour mieux la contaminer et la pervertir la relation conflictuelle entre une mère déboussolée et un fils en attente de boussole. Terminons en disant que Samuel Lange, qui interprète Junior, est absolument formidable et crève l’écran de son regard scrutateur, tour à tour doux et dur.
PatrickBraganti
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le 7 avr. 2014

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