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Quand on voit une affiche réunissant Tom Hanks et Meryl Streep, on en vient même à se demander comment on a pu attendre 2018 pour les réunir à l’écran. Et que ce n’est au final pas si surprenant que ce soit Spielberg qui s’y soit attelé. Alors oui, on ne va pas se mentir, The Post est un film calibré pour les Oscars dans ses moindres détails.


L’intrigue elle-même revient sur cette période pour le moins tourmentée de la Guerre du Vietnam et ce qu’elle a vraiment caché. Sur fond donc de biopic thriller politique (un genre que j’apprécie bien), Spielberg réussit à nous entraîner dans son histoire et à nous tenir en haleine. Parce que même si on connaît les dessous de l’histoire, si on sait ce qu’elle implique, ce qu’elle a entraîné, que ça nous paraît même évident de nos jours ; le film réussit parfaitement à nous faire vivre cela en direct, comme si on le découvrait pour la première fois. Et là où on aurait pu simplement se contenter de narrer cette histoire, The Post joue également sur plusieurs tableaux. Non seulement on découvre cette histoire, mais on prend également conscience de tout ce qu’elle implique pour les personnages.


En nous rappelant, non sans un certain cynisme, que gouvernement et presse ont toujours été proches, que les propriétaires de journaux tout comme les éditeurs en chef ont toujours gravité dans les mêmes cercles que les hauts fonctionnaires politiques ; le film nous fait réaliser que cet évènement a non seulement été une bombe médiatique, mais également vécu comme une trahison. Que l’indépendance même de la presse a été remise en question par ces mêmes acteurs qui en sont directement concernés. Que Nixon n’était pas un enfant de cœur. En ce sens, le final sera d’ailleurs purement jouissif et parfaitement exécuté. Le film s’attarde également sur l’inégalité des sexes.


À une période où les esprits commençaient à s’ouvrir sur le sujet, le rôle de Katherine Graham est bien plus central que ce que le personnage laisse paraître. Parce qu’on la voit toujours anxieuse, inquiète de bien faire, se sentant presque en milieu hostile. Et au fur et à mesure que le film avance, on la voit s’affirmer, prendre assurance, embrasser ses convictions. Et c’est vraiment très bien mené. Que ce soit par ces très nombreux plans de Spielberg où on voit Meryl Streep passer dans un milieu principalement féminin à un milieu masculin, presque comme si elle était étouffée, engloutit par ce raz-de-marée d’hommes. On pourra même y noter un changement dans la photographie.


Et puis là où le film est très souvent chaotique, les hommes parlant tous en même temps, n’accordant presque pas un regard à Katherine, les femmes sont calmes, posées, la regardant presque comme si elles la vénéraient. C’est très appuyé et exagéré, mais la symbolique ici est très forte dans le développement de Katherine. Sans parler du sexisme ordinaire dans les propos de la plupart des autres personnages masculins, ce qui renforce encore d’avantage cet aspect. Bref, le film porte également un regard sur la place des femmes dans le monde du travail assez fort et devenant, par conséquent, un sujet tout aussi fort que ces fameux Pentagon Papers.


Le casting aussi est formaté Oscars. Bien sûr, Meryl Streep nous sort presque toujours une performance à Oscar dans ce genre de film (et ça n’a pas raté), et le personnage qu’elle incarne y aide beaucoup. J’ai beaucoup aimé ce qu’elle en fait : tout en douceur, sans jamais élever le ton, ni s’énerver, mais se dressant fermement pour appuyer ses convictions. Tom Hanks se régale comme toujours dans un rôle qui aurait pu lui valoir aussi une nomination, et sans doute une des meilleures de ses dernières années avec Captain Phillips. Idem pour Bob Odenkirk, qui propose quelque chose de très intéressant et qui, là aussi, semble avoir été formaté pour les Oscars. Même les courtes apparitions de Sarah Paulson. Et il en est de même de tout le casting, qui donne du meilleur de lui-même pour avoir un ensemble cohérent. J’ai beaucoup aimé aussi Matthew Rhys, qu’on ne voit pas beaucoup mais qui est plutôt intense.


Et puis techniquement, le film est là aussi formaté pour les Oscars dans ses moindres détails. La musique de John Williams sera dans l’ensemble très chouette, créant une atmosphère efficace pour le sujet et les scènes clé du film. Sans être sa meilleure partition pour un Spielberg, on y retrouvera une sorte de mélange entre Arrête-moi si tu peux et Munich. Les décors seront bien sûr fabuleux, nous plongeant au cœur du Post des années 70, mais en allant aussi faire un tour du côté du New York Times et d’autres lieux symbolique (la Bourse, le Cours Suprême). La photo sera pas mal non plus, même si on restera dans des teintes plutôt bleu-grises, mais comme je l’ai dit j’ai beaucoup aimé le changement lors de certaines scènes avec Meryl Streep (son entrée à la Bourse, où on passe des couleurs chatoyantes de l’univers des femmes, à celui presque noir des hommes).


Et la mise en scène de chouchou Spielby ? Bah, une pure merveille où il s’en est donné à cœur joie. Faisant usage à de nombreuses reprises de plan-séquences, de traveling, la caméra est toujours en mouvement ou presque, construisant presque un nouveau point de vue omniscient de l’ensemble (la scène où Katherine prend la décision au téléphone, comme si le monde entier attendait sa réponse). Oui, la mise en scène est là aussi parfaitement calibrée pour les Oscars, avec le cahier des charges des plans du genre pratiquement rempli, mais franchement c’est fait avec un souffle incroyable. C’est dynamique, là où ça aurait pu être plan-plan, au point même que certains montages semblent artificiels. Spielberg arrive pratiquement à nous faire oublier qu’il a posé une caméra sur un plateau de tournage, on a vraiment l’impression d’être au cœur de cette intrigue.


The Post est le film typique à Oscar, il en a tous les aspects, tous les codes, tous les ingrédients. Pourtant, cela n’a pas empêché Spielberg de faire un film au final très personnel, pas si académique que ça, et qui a le mérite d’avoir une grille de lecture intéressante. Ce n’est pas forcément son meilleur film, mais je me suis régalé comme je l’espérais. Chouchou a encore frappé, et il a frappé fort !

vive_le_ciné
8

Créée

le 29 janv. 2018

Critique lue 289 fois

vive_le_ciné

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