Perfect Days
7.4
Perfect Days

Film de Wim Wenders (2023)

"Perfect Days" ou l'éloge de la vie simple et de l'employé exploité.

Commençons par ce que j'ai aimé : il émane du film une réflexion sur la sensibilité, la beauté ainsi qu'une très grande performance de l'acteur principal. Voilà c'est tout.

Ce film dépeint le regard d'un bourgeois sur le "romantisme" d'un métier de l'ombre.

Hirayama se fait marcher dessus à longueur de journée par son travail, son collègue, sa famille. Sa bonté lui provoque des problèmes d'argent, il n'a aucune reconnaissance dans ce qu'il fait mais ce n'est pas grave car il trouve la beauté ailleurs.

Alors oui c'est très bien de trouver de la beauté dans les gestes du quotidien ça aide à mieux vivre. Mais selon moi cette beauté ne doit pas être une excuse pour justifier l'exploitation de l'homme par l'homme. Derrière ce film persiste une idée sournoise : ce n'est pas grave si un employé se fait exploiter s'il trouve de la beauté dans ce qu'il fait.

Ce film porte :

1. Une vision socio-centrée de la société. Il n'y a vraiment que des bourgeois de droite pour penser et romantiser la vie d'un Hirayama telle qu'elle y est décrite. On imagine bien ce que Wim Wenders peut se dire "regardez le, il n'a rien et pourtant il a tout". Où sont passés les toilettes pleines de vomi dont parle son collègue plus jeune ? Des toilettes bouchées pleines de merde, de l'odeur nauséabonde ? Rien de tout cela. Apparemment la beauté est partout mais pas ici...

2. Ce film porte un regard suffisant voir méprisant à l'encontre d'Hirayama et des dominés du capitalisme moderne. Jamais WW n'accepterait une vie comme celle d'Hirayama sans se révolter, se rebeller.

Le message du film est faussement subversif : recherchez l'art et la beauté dans détails du quotidien. Derrière cette maxime insidieuse s'en cache une autre : prenez exemple sur Hirayama, fermez-là et acceptez votre condition sociale. Au début du film il doit bien se passer 30min sans qu'Hirayama ne prononce la moindre phrase. Le monde ne serait-il pas un meilleur endroit s'il était rempli de gens comme Hirayama ?

3. Le film attache aussi beaucoup d'importance aux choses simples, à prendre le temps. Je pense ici aux cassettes, à la photo argentique et aux livres qu'affectionne tout particulièrement Hirayama. A cela, Wim Wenders oppose la modernité bête et rapide symbolisée par son jeune collègue rivé sur son téléphone ne se souciant guère de faire du bon travail.

"Perfect Days" sonne comme une ode nostalgique d'un passé révolu à qui l'on oppose un modernisme rapide, bruyant et impersonnel. Conflit de génération où WW déballe sa vision du monde, celle d'un homme de 78ans.

4. Perfect Days porte également une vision erronée de la société : On ne croit pas au portrait dépeint par Wim Wenders. Pense-t-il vraiment que l'employé de ménage quand il rentre chez lui fait de la photographie argentique, s'occupe de ses plantes et lit des poèmes pour s'endormir ? Un bobo parisien oui j'y crois, un prolétaire au smic un peu moins.

A travers les plantes d'Hirayama WW nous dit : "Cultivez votre jardin". Mais comment cultiver notre jardin quand notre pyramide des besoins n'est pas comblée ? WW transpose sa pyramide des besoins et son besoin d'accomplissement (5) sur celle d'Hirayama qui peine à dépasser le niveau 2.

Pyramide de Maslow :

5. Besoin d'accomplissement de soi

4. Besoins d'estime : (confiance et respect de soi, reconnaissance et appréciation des autres)

3. Besoins d'appartenance et d'amour : (affection des autres)

2. Besoins de sécurité :(environnement stable et prévisible, sans anxiété ni crise)

1. Besoins physiologiques :(respirer, boire, s'alimenter, sexualité, dormir, élimination)

Certains pourront dire qu'Hirayama comble ces besoins d'appartenance au bar et au restaurant qu'il a l'habitude de côtoyer.

D'autres diront qu'il reçoit de l'affection et de la reconnaissance de la part de sa nièce (qu'il semble par ailleurs voir une fois tous les 10ans).

Enfin on peut voir le sourire du plan final comme un accomplissement de soi, comme le sourire d'un homme accompli et heureux.

J'entends et je peux comprendre. J'y vois personnellement le dénouement d'une mise en scène savamment orchestrée : l'aliénation d'Hirayama.

Je refuse d'accepter cette vision du monde et de la société. Notamment parce qu'elle émane d'un bourgeois dominant de 78ans qui n'a jamais eu à exercer un métier de dominé. Mais aussi parce qu'en érigeant la beauté comme objectif suprême et en se projetant sur un homme que tout lui oppose, Wim Wenders légitimise l'exploitation et l'aliénation d'Hirayama.

Pour conclure, le film est long : 2h. Il aurait très bien pu tenir en 1h30 ce qui rend souvent la démonstration lourde et répétitive. Arrêtons de vouloir faire des films de 2h à tout va.

Cela me fait penser à la maxime d'Antoine de St Exupéry : "Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n'y a plus rien à ajouter, mais quand il n'y a plus rien à retrancher."

Avec "Perfect Days" Wim Wenders s'exempte d'une belle maxime de vie qu'il prétend pourtant défendre dans son film...

AdrienEvrard1
2
Écrit par

Créée

le 18 janv. 2024

Modifiée

le 18 janv. 2024

Critique lue 21 fois

Adrien Evrard

Écrit par

Critique lue 21 fois

D'autres avis sur Perfect Days

Perfect Days
Procol-Harum
7

À la lumière des imparfaits

« Je ne sais préparer que du tofu… Les côtelettes et autres recettes chic, je laisse ça aux autres réalisateurs. » — Yasujirō Ozu Le tofu d’Ozu est avant tout une trajectoire, un cheminement...

le 1 déc. 2023

55 j'aime

6

Perfect Days
VizBas
2

La vie à coups de javel

Perfect Days version Wim Wenders, c’est la chanson au singulier de Lou Reed, sans l’âpreté de la voix de Lou Reed, sans l’ambiguïté de son “You’re going to reap just what you saw”, geste de...

le 16 déc. 2023

34 j'aime

12

Perfect Days
Plume231
8

Quelques jours de la vie de Monsieur Propre !

Wim Wenders n'a jamais caché sa fascination pour le Japon. Il suffit de voir son immense admiration pour l'immense Yasujiro Ozu, observateur des mutations de la société de son pays par l'angle...

le 1 déc. 2023

31 j'aime

2

Du même critique

Perfect Days
AdrienEvrard1
2

Imperfect days

"Perfect Days" ou l'éloge de la vie simple et de l'employé exploité.Commençons par ce que j'ai aimé : il émane du film une réflexion sur la sensibilité, la beauté ainsi qu'une très grande performance...

le 18 janv. 2024