Œil pour œil, dent pour dent : la loi du Talion !

- Je vois avec peine que l'affaire Leiter vous a quelque peu brouillé le jugement. Vous avez une mission. Je compte vous voir reprendre l'avion en fin de journée.
- Je n'ai pas bouclé le dossier, sir.
- Laisser cela aux Américains, Bond. C'est leur bazar, qu'ils y mettent bon ordre.
- Sir, ils vont se croiser les doigts. Je dois bien ça à Leiter. Il a plus d'une fois risqué sa vie pour moi.
- Épargnez-moi ces sanglots mélodramatiques. Il connaissait les risques.
- Et sa femme ?
- Votre petite vendetta à titre privé risquerait de compromettre le gouvernement de sa Majesté. Je vous répète que vous avez une mission. J'entends que vous l'exécutiez avec objectivité et professionnalisme.
- Alors je vous remets ma démission, sir.
- 007 nous ne sommes pas un club de vacances ! Je vous démissionne sur-le-champ. Je vous retire votre permis de tuer. Et j'exige que vous me rendiez votre arme.

La vengeance dans la peau

Permis de tuer en tant que seizième opus de la saga 007 adaptée de la licence littéraire de Ian Fleming, marque le retour pour la seconde et dernière fois du comédien Timothy Dalton sous les traits de l'agent des services secrets britannique. C'est le cinéaste John Glen, un habitué de la franchise à qui l'on doit "Rien que pour vos yeux", "Octopussy", "Dangereusement vôtre", ou encore "Tuer n'est pas jouer", qui a à nouveau la charge cruciale de convaincre les spectateurs avec ce nouveau James Bond. Une nouvelle incarnation n'ayant pas fait l'unanimité dans le film précédent, et qui malheureusement ne parviendra pas à convaincre avec cette seconde tentative, qui va marquer la fin de Timothy Dalton, ainsi que celle de John Glen au sein de la licence. Une perte regrettable puisque cet opus se présente comme une mission d'une originalité totale, aussi bien dans le fond que la forme, offrant un contraste plus ténébreux, mélancolique, pessimiste, sévère et tragique. Une imprégnation grave déjà entrevue dans "Tuer n'est pas jouer" et porter à maturité avec "Permis de tuer".


On retrouve à l'écriture le duo de scénaristes Richard Maibaum et Michael G. Wilson, qui nous plonge à nouveau dans un périple mouvementé qui met à l'honneur l'espionnage, l'infiltration et le meurtre. Une portée haletante excluant le caractère officiel du cadre usuel Bondien, puisqu'il ne s'agit nullement d'une nouvelle mission dictée par les services secrets de sa Majesté, mais d'une vengeance. En effet, l'ancien agent de la CIA "Félix Leiter", ayant plus d'une fois aidé 007 à travers divers missions périlleuses, faisant d'eux des amis extrêmement proches, est laissé pour mort la nuit de son mariage avec sa femme "Della". L'un abominablement torturé en se faisant à moitié dévorer par un requin blanc, l'autre cruellement violé avant d'être assassiné. Des représailles appliqués par Franz Sanchez, un baron de la drogue arrêté quelques heures plus tôt par Félix et Bond, avant de se faire la malle suite à la trahison d'un agent. Un acte abominable et insoutenable pour Bond qui réclame vengeance. Œil pour œil, dent pour dent : la loi du Talion. Une riposte que lui refuse "M", directeur du MI6 qui devant l'insistance et le refus d'obéir de son agent lui retire son permis de tuer. Un désengagement dont n'a cure Bond, qui prend la fuite au détriment de tout le reste. Une chasse à l'homme implacable dans laquelle Sanchez doit coûte que coûte payer dans le sang pour ses crimes. Telle est la faute, tel est le châtiment : la sentence doit être équivalente à l'offense.


Une histoire aride en bon sentiment ne laissant aucune place à l'humour avec un Bond qui ne plaisante pas. Une atmosphère tendue rendue sur un rythme dynamique où on découvre une série de péripéties engageantes n'en faisant jamais des tonnes. La scène d'ouverture est à l'image du contenu global, c'est-à-dire, une entrée en scène radicale mais dans la retenue, à laquelle se greffe la capture d'un avion dans les airs avec un hélicoptère. S'ensuit une série d'actions où on profite de nombreuses scènes d'infiltration ayant pour objectif de tendre un piège très ingénieux à Sanchez. Une posture d'espionnage exécutée de si bonne manière que la véritable identité de Bond n'est révélée aux yeux de l'antagoniste que durant l'arc final. Une grande première pour 007, qui d'habitude tient plus d'un agent de destruction pas du tout discret, que d'un agent d'infiltration. Une proposition ironique vu que pour sa grande première illustration en mode incognito, il n'agit pas en tant qu'agent des services secrets. En résulte des confrontations palpitantes avec des morts toujours plus violentes débouchant sur un affrontement final sous tension. Une course-poursuite endiablée avec des camions faisant office d'armes mécaniques implacables. Des cascades entraînantes que l'on doit à Rémy Julienne qui réussit le pari de frapper fort tout en restant réaliste au maximum. La confrontation finale entre 007 et Franz Sanchez ne manque pas de gravité ni de sens. Une conclusion hautement symbolique dans laquelle James se perd allègrement dans sa vengeance.


- Dans mon métier, on se prépare à tout.
- Et c’est quoi votre métier ?
 - J’aide les gens qui ont des problèmes.
- Et leurs problèmes s’envolent ?
- Je dirais plutôt que leurs problèmes s’éliminent.

Permis de tuer peut compter sur la réalisation immersive de John Glen pour rendre à sa pièce vengeresse une dimension idéalement irrévocable, soutenue par le montage de John Grover. Un jeu de caméra très subtil offrant une atmosphère sombre, faisant écho à la vengeance de Bond, posée sur des environnements ensoleillés pour un contraste d'ensemble saisissant. On découvre de nouveaux lieux exotiques avec des destinations de rêve comme la Floride, les Bahamas, le Mexique, jusqu'à la création d'un pays fictif avec la République d'Isthmus. Les différents endroits visités présentent des décors affriolants à commencer par la villa privée de l'antagoniste, jusqu'à l'institut de méditation religieux dirigé par le télévangéliste Joe Butcher, qui n'est autre qu'une façade abritant un gigantesque laboratoire de cocaïne. La photographie d'Alec Mills met en valeur les superbes décors de Peter Lamont ainsi que les costumes de Jodie Lynn Tillen pour un résultat honorable. John Barry cède sa place pour cas de force majeure due à une intervention clinique. C'est Michael Kamen qui prend le relais et de bien bonne manière en proposant une relecture efficace que l'on aurait pu espérer être plus marquante, mais qui tout de même accompagne efficacement les différentes actions. La chanson phare interprétée par Gladys Knight apporte une bonne introduction à la mission non officielle qui débute.


Timothy Dalton en tant que James Bond propose une incarnation radicale et intimiste du personnage que j'ai adoré. Une proposition bien moins sage que dans l'épisode précédent, où le comédien présente un caractère bien plus marqué. Une radicalité en phase avec le récit pour une mouvance moins sarcastique et davantage dans la conséquence. Une absolution catégorique qui a toujours été présente chez ce personnage mais toujours contenu par une ironie débordante et un détachement affectif. Des garde-fous déverrouillés laissant place à un Bond borderline qui sera la base de la version de Daniel Craig. Il est accompagné par la comédienne Carey Lowell, qui sous les traits de Pamela Bouvier apporte une présence féminine qui a du coffre et des muscles. Une excellente Bond girl au caractère bien trempé qui s'impose comme un personnage rafraîchissant le contexte oppressif du récit. Une belle femme qui ne m'a pas laissé indifférent. Elle est plus d'une fois utile auprès de 007, dont elle va bien entendue tomber amoureuse, au grand désarroi de ce cher « Q » qui est définitivement trop vieux pour ces conneries. Q par Desmond Llewelyn trouve une place bien plus importante qu'à l'habitude pour mon plus grand plaisir. Robert Brown pour « M », ainsi que Caroline Bliss en tant que Miss Moneypenny, apparaissent à peine mais font le travail. Superbe boulot pour David Hedison en tant que Félix Leiter et Priscilla Barnes pour Della Churchill, qui offre une relation intime très solide avec Bond. Une bonne manière de se sentir concernée par cette vengeance.


Côté vilain, le comédien Robert Davi avec sa gueule bien marquée offre une incarnation idéale à Franz Sanchez. Un narcotrafiquant impitoyable doté d'une approche sophistiquée offrant une belle parure à ce criminel dénué de pitié qui place la loyauté au-dessus de tout le reste.

« Il faut que tu comprennes quelque chose, amigo. La loyauté est plus importante pour moi que le pognon. »

Un méchant à la hauteur faisant office d'adversaire conséquent pour Bond. Le comédien à la classe et se dresse comme une menace crédible. Sanchez est entouré d'une équipe plus que sympathique à commencer par Dario, incarné par un Benicio del Toro bien jeune, qui déjà marque l'écran de sa présence. Il connaît une des fins les plus violentes de la saga. S'ajoute Anthony Zerbe pour Milton Krest, l'associé océanographe de Sanchez qui va subir le courroux de celui-ci après un joli coup de poker par Bond. Enfin, Lupe Lamora, la petite amie de Sanchez incarnée par Talisa Soto, est une femme qui aime s'afficher avec un homme dominant, mais se refuse à devenir une criminelle. Un personnage un peu lambda dans le décor Bondien.


CONCLUSION :

Permis de tuer réalisé par John Glen est un seizième opus innovant pour la saga 007. Un périple tortueux et enragé établi sur une direction vengeresse sous tension qui malheureusement va se révéler infructueux auprès du public qui va le bouder. Une fâcheuse conclusion faisant de ce film une pierre tombale symbolique pour la distribution, qui du réalisateur en passant par les scénaristes et autres techniciens jusqu'aux comédiens, vont disparaitre de la licence.


Une résultante regrettable pour l'un des meilleurs opus de la franchise qui trouvera à travers les années une repentance auprès des spectateurs.

- « Vous savez, je l'aime tellement . » Et moi je devrais voler au secours de James !
- Écoutez. Ne le jugez pas aussi durement que ça. Les hommes de terrain sont parfois forcés d'utiliser tous les moyens dont ils disposent pour atteindre leur objectif.
- Mon cul !
B_Jérémy
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le 21 févr. 2023

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