[Critique à lire après avoir vu le film]

Wiktor, l'ambassadeur de Pologne en Uruguay, vient de perdre sa femme adorée. L'occasion de revenir sur sa vie, et notamment de tirer au clair un soupçon vis-à-vis de son vieil ami Oleg, devenu ministre russe de premier plan : celui d'avoir eu une liaison avec son épouse. Mais ce dernier refuse de répondre franchement, se dérobant à deux reprises. Il se contentera d'une photo, déchirée aux deux tiers. A la fin du film, on comprendra que le geste tendre de sa femme envers Oleg était innocent, Wiktor figurant sur la photo. Il aura fallu pour cela une libération : celle des cendres de sa femme, "enfermées dans l'urne" (comme le pensent les Orientaux), qui entraîne celle de Wiktor, enfin apaisé. Sa mort a les allures d'un happy ending.

Sur cette intrigue sentimentale, se greffe un autre soupçon, celui d'espionnage. Wiktor, qui est cul et chemise avec le premier ministre polonais car tous deux étaient d'anciens dissidents, a fait nommer un jeune consul de son choix en Uruguay. Celui-ci débarque avec son épouse, d'origine russe, et s'installe chez l'ambassadeur qui leur laisse la chambre d'amis. Une histoire de document introuvable concernant des modifications faite dans les locaux de l'ambassade, à laquelle s'ajoute une compétition pour la vente d'hélicoptères, fait penser à Wiktor que cette femme espionne pour le compte des Russes.

Tous les soupçons de Wiktor s'avèreront infondés : la femme expliquera avoir espionné non pour le compte des Russes mais pour assurer ses arrières vis-à-vis de son mari au cas où, dans son grand âge, elle serait abandonnée car ayant perdu ses attraits. Belle lucidité. Fallait-il pour autant qu'elle soit prête à payer de sa personne en échange du silence de l'ambassadeur ? Pas sûr. En tout cas celui-ci, dont les hormones semblent être apaisées, à moins que la fidélité à son ex-femme ne perdure, ne saisira pas l'occasion de se faire offrir une gâterie.

Quant au contrat d'hélicoptères, ce ne seront pas les Russes mais les Italiens qui le remporteront. Le film pose sans cesse la question de la confiance : Wiktor se trompe, il soupçonne à tort Oleg et la femme russe mais se confie à son homologue italien qui, lui, le trahira. Ces soupçons le mettent en tension : on le constate dans ses échanges avec son conseiller, qu'il ne cesse de houspiller vertement. Avec tous il se montre cassant, irascible, et même méprisant, comme dans cette scène où il recommande au nouveau consul de changer de cravate et de costume, le renvoyant à sa condition. L'humiliation subie par ce dernier explosera dans une scène de colère à la fin du film.

Tout aussi maladroitement, Wiktor tente d'utiliser son pouvoir pour faire le bien autour de lui : il fait délivrer des papiers à un jeune homme qui se heurte sans cesse, comiquement, à une porte fermée, mais celui-ci sera retrouvé mort ; il fait donner toutes ses bouteilles d'alcool entamées à un clochard, geste dérisoire ; il propose papiers et argent à des jeunes filles qui désespèrent de pouvoir rentrer en Pologne ou en Ukraine, mais celles-ci ne viennent pas au rendez-vous (il parviendra tout de même à aider l'Ukrainienne, signe de sa proche rédemption peut-être ?).

En un mot, notre homme, affichant pourtant une classe indéniable, est assez pitoyable. Ce n'est pas un hasard si Zanussi a situé son intrigue en Uruguay, petit pays inconnu pour beaucoup qui ne pèse rien dans l'équilibre mondial (il raconte que lors d'une rencontres avec le public, quelqu'un a demandé si ce pays existait vraiment !) . Wiktor a le sentiment d'être mis dans un placard. Il exerce donc, pour compenser cette humiliation, un pouvoir un peu tyrannique. Avec un succès très relatif : son entourage fait parvenir des rapports sur sa santé mentale, et il sera remis à sa place par le Premier ministre, qui lui fait comprendre que leur vieille amitié pèsera de moins en moins. Wiktor est également aigri, ayant le sentiment que la révolution Solidarnosc n'a pas tant que ça changé les pratiques : les vieux réflexes ont perduré, simplement mis au service du nouveau camp. A la guerre politique, a succédé la guerre économique, représentée ici par un contrat d'hélicoptères.

Au-delà de ces thèmes, Zanussi nous livre ici une Nième réflexion sur la déchéance liée à l'âge. La vieillesse est un naufrage, comme le suggère l'image de Wiktor dispersant les cendres de sa femme au bord d'une mer en furie. Mais, si l'on a tout mis au clair, elle peut s'achever dans la sérénité. Comme la mort d'Hypolit, le chien adoré de Wiktor atteint d'un cancer, à qui il décide, chez le vétérinaire, d'épargner des souffrances en l'euthanasiant. Zanussi, cinéaste catholique semble-t-il (qui évoque d'ailleurs dans son film l'opposition entre un catholicisme rationnel et une orthodoxie émotionnelle), a déclaré qu'il était intellectuellement contre l'euthanasie (car il juge qu’on ne saurait ainsi "disposer" de sa propre vie), mais restait prudent, conscient que les épreuves de la vie peuvent vous faire changer d'avis. Lors de cette rencontre à Strasbourg, l'homme, au look passablement suranné, se révèle assez fécond dans ses commentaires - qui prennent d'ailleurs parfois des allures de sermons.

Plus fécond que son oeuvre, en fait. Car Zanussi n'est pas Bergman : dans la réalisation, assez académique, comme dans la richesse de son propos, finalement limitée, le Polonais est assez loin de se hisser au niveau des Fraises sauvages, au thème similaire. Trop d'intrigues entremêlées (je n'ai pas mentionné une peu claire histoire de cocaïne cachée dans le cercueil du jeune homme qui voulait des papiers), pas assez de poésie ou de puissance évocatrice : ce Persona non grata se révèle bien plus anecdotique que ne le laissait espérer son beau sujet. Généralement client du cinéma polonais, Skolimowski, Wajda, Kieslowski et Pawlikowski figurant haut dans mon panthéon personnel, je voulais depuis longtemps découvrir ce Zanussi. Au vu de cet opus-là, il n'est pas tout à fait de la même trempe que ses illustres compatriotes.

Jduvi
7
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le 2 nov. 2023

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