J'aime le travail. Je fais partie sans doute de l'une des dernières générations pour lesquelles une personne se définit avant tout par le travail qu'elle fait. Une vie... non, un mois sans travail, est la plus parfaite définition pour moi de l'Enfer. Pour sauver son travail, il me semble que l'on est moralement autorisé à tout tenter. Bref, mon empathie avec le personnage principal de "Petit Paysan" a été totale.
J'aime que le cinéma parle du travail, même si - ou surtout si - il le fait trop peu souvent. Le travail me semble être la meilleure fiction qui soit, et le réduire au périmètre du documentaire est clairement se priver de l'un des matériaux les plus riches pour parler de notre humanité. Il y a malheureusement peu de films qui parlent du travail, peut-être parce que les producteurs imaginent que le peuple, qu'ils méprisent, ne paiera pas pour aller voir à l'écran des gens qui, comme eux, travaillent. Ou peut-être aussi parce que la plupart des artistes n'ont jamais travaillé - à l'usine, à la ferme, dans un bureau, dans un magasin, derrière un guichet, devant des éleves, sur un chantier - et ne savent même pas ce que c'est (j'en soupçonne pas mal de trouver ça dégradant !).
Hubert Charuel filme dans son "Petit Paysan" le monde du travail - un monde du travail plutôt, celui du petit paysan qui lutte face au changement qui vient et détruit le sens de sa vie -, mais il filme surtout un homme qui travaille, avec justesse et honnêteté. Sans en faire un documentaire : il n'a pas la prétention de faire un film politique, ni même social ; il ne parle pas au nom de ceux, invisibles, qui souffrent.
Charuel a la belle idée de nous offrir un vrai thriller : dur, tendu, intense, passionnant... remarquable. Un thriller qui ne dépend pour advenir d'aucun facteur externe artificiellement introduit (des bandits, un casse, une femme fatale, etc.), comme l'aurait fait un réalisateur lambda, puisqu'il sait que tous les défis, toute la tension nécessaires peuvent être trouvées simplement dans l'amour de l'homme pour son travail en danger, dans l'amour du paysan pour ses bêtes qu'il risque de perdre.
"Petit paysan" est pour cela un OVNI, un film parfaitement exemplaire, jusque dans son choix logique de préférer une fin réaliste et mélancolique, au risque de frustrer son spectateur qui aurait certainement préféré une explosion de révolte libératrice.
[Critique écrite en 2018]