Phantasm
6.2
Phantasm

Film de Don Coscarelli (1979)

Ça fait mine de rien assez longtemps que je désespérais de redécouvrir un jour le plaisir de la découverte et du vécu d'un vrai coup de cœur imprévu de type chef d'oeuvresque dans le domaine du film de genre, et en particulier l'horrifique. C'est qu'à force d'avoir regardé à droite et à gauche pendant des années sur le sujet, on commence à les avoir progressivement épuisés, les grand classiques, films à renommée et autres sagas cultes qu'on ramène tout le temps sur le devant de la scène, ne laissant plus qu'aux perles inconnues et/ou oubliées le luxe de pouvoir nous surprendre de la sorte. Encore faut-il pouvoir les dénicher et c'est là que réside toute la difficulté, car comment trouver ce que l'on cherche quand en plus de ne pas savoir ce que c'est, la dite chose se retrouve perdue au beau milieu d'un océan d'inconnus vers lesquels peu de gens vous aiguilleront ?


Aussi je remercie grandement aujourd'hui le hasard qui m'a mis sur le chemin du coffret intégral Blu-Ray de la saga lors d'une balade sans visée particulière à la FNAC du coin, ainsi que les concepteurs de ce dernier qui ont su lui donner l'éclat suffisant afin d'éveiller ma curiosité juste assez pour me pousser à tenter le coup face à cette saga dont je n'avais jamais entendu parler avant. Car Phantasm, joyau relativement méconnu, est pourtant assurément le genre de films pour lesquels je continue de m'efforcer toujours davantage à élargir mon horizon cinématographique autant que possible. De ces petits chefs d'œuvres bien cachés qui récompensent occasionnellement et grassement des traversées du désert pouvant durer parfois bien longtemps, avec tout le plaisir évident qui en découle.


Là où cette rencontre avec ce film est d'autant plus belle et magique pour moi, c'est qu'elle aurait d'ailleurs totalement pu ne pas passer du tout, car Phantasm est de ses films tellement radicaux et jusqu'au-boutistes dans leur approche et leur concept qu'ils ne peuvent que diviser foncièrement les foules entre ses adorateurs et ses détracteurs, en laissant peu dans l'entre deux. Heureusement qu'elle s'est bien passé, je n’aurais pas eu l'air con d'avoir acheté à un certain prix sur un coup de poker un film que je déteste et ses quatre suites qui, en toute logiques, auraient donc été bien mal parties pour me plaire. Mais là où Phantasm est aussi fort, c'est qu'il se joue beaucoup des apparences et y compris sur ce point-là. Mais je reviendrais aux suites en temps voulu, et dans les critiques appropriées ...


Ce qui est déjà fascinant avec Phantasm c'est son incroyable capacité à constamment déjouer les attentes de son spectateur, et à petit à petit le perdre dans un univers de plus en plus flou, fou et inconnu où absolument tout peut arriver n'importe quand (d'autant que Coscarelli n'a pas peur de faire en sorte que ses personnages se salissent les mains, y compris les plus jeunes du lot, loin du politiquement correct des bonnes vieilles valeurs américaines de l'époque, face auxquelles le film prend d'ailleurs souvent un malin plaisir à leur tirer la langue), mais en captant toujours malgré tout son attention en l'aiguillant uniquement à travers tout cela par la fascination à la fois prenante et terrifiante de voir ce qui va se présenter à lui et comment le tout parviendra malgré les apparences à former un tout d'une cohérence implacable. On avance dans le noir complet et à chaque fois qu'on croit commencer à comprendre comment le tout fonctionne, le film te sort un nouvel élément totalement improbable de son chapeau qui vient souvent remettre en cause la réflexion qu'on était en train d'émettre.


Jusqu'à la dernière seconde on ne sait pas vraiment à quoi s'attendre sans jamais pour autant que le film ne nous fasse sortir de son délire à force d'accumuler tant d'éléments qui ne semblent à priori pas plus coller que ça en termes de cohérence et d'association, tant il arrive à les maintenir dans une unité qui permet au spectateur de lui faire confiance jusqu'au bout pour lui prouver le contraire. Et bon sang, que ça fait du bien, surtout en comparaison d'un cinéma contemporain de plus en plus balisé et souvent trop didactique, de redécouvrir un film où l'on avance à l'aveuglette et qui nous laisse reconstruire le puzzle sans se sentir obligé de nous prémâcher le travail et surtout de nous expliquer de suite l'intégralité du pourquoi du comment dans les 30 secondes suivant l'événement survenu ! Le film fait d'ailleurs à ce titre totalement partie de ceux qui gagnent grandement à ce qu'on ne sache absolument rien d'eux avant de les découvrir, tant cela gâcherais de superbes moments de surprise que de se renseigner sur le moindre élément du film, car même le plus petit d'entre eux est susceptible de vous surprendre !


Don Coscarelli a su ici, peut-être même mieux que quiconque, réaliser un véritable rêve de pellicule. Un film qui n'est régit dans tout son être que par la logique du rêve, des cauchemars, des fantasmes. Un film, si ce n'est dans sa maîtrise artistique, totalement aléatoire tant en termes de rythme que de rebondissements, parvenant pourtant à convoquer nombre d'éléments issus d'imaginaires tout aussi riches et variés et à les unifier contre toute attente dans une vraie forme de cohérence comme un rêve pourrait le faire, et conférant ainsi au film (et à terme à la saga) un univers génial à l'identité très forte et absolument unique, au-delà de la grande richesse d'interprétation qu'il permet ainsi.


Phantasm reste encore aujourd'hui de ce point de vue-là un véritable O.V.N.I. cinématographique. Bien que prenant racine dans diverses sources d'imaginaires connues, rien ne lui ressemblait vraiment quand il est sorti et bien qu'il ait sans doute fortement marqué ceux qui l'ont vu, rien de vraiment similaire n'a été vu depuis (pas même d'ailleurs dans ses suites qui ont globalement eu l'intelligence de garder suffisamment de distance avec lui pour proposer d'autres choses au sein de cet univers).


Ce n'est du coup pas un hasard que tout le film (y compris la scène finale) puisse se lire comme un rêve, ou du moins une déformation fantasmagorique de la réalité créée par l'esprit de Mike afin de mieux pouvoir affronter cette dernière. Et d'ailleurs, beaucoup d'éléments du film en apparence inexpliqués prennent du sens vus comme cela.


Si bien entendu Phantasm nous laisse la liberté fort appréciable de pouvoir prendre son intrigue au premier degré, on peut également y voir l'histoire d'un jeune garçon orphelin absolument terrifié par l'idée de perdre d'une façon ou d'une autre son frère aîné (et les amis de ce dernier dans une moindre mesure), véritable modèle pour lui, au point de conceptualiser tout ce qui pourrait un jour les séparer comme des choses d'horribles résultant d'actions menées par des créatures démoniaques issues d'un autre monde.


Ce qui inclue principalement la mort bien sûr, représenté par le Tall Man, qu'il voie comme une entité pleine de ressources et implacable, ayant recours à des procédés diminuant physiquement (à l'image des nains du film) et psychiquement (comme la sphère broyant et vidant le cerveaux de ses victimes, qui renvoie indirectement au fait que les nains sont des êtres asservis et dépossédés des personnalités qu'ils avaient lorsqu'ils étaient en vie) l'être humain, le rendant esclave d'un monde hostile qu'il sera condamné à arpenter pour l'éternité (représenté par le monde rouge qu'il voit à travers le portail dimensionnel). Mais aussi de ce qui est le plus susceptible d'emmener son frère et ses amis loin de lui : la femme (ce n'est d'ailleurs pas un hasard si cette dernière ne s'attaque qu'à Jody, Reggie et Tommy tout en restant inactive et inoffensive lorsqu'elle est face à Mike. Ni que Jody et Reggie puissent survivre aux blessures qu'elle leur inflige n'étant pas forcément une chose mortelle en soi).


Des menaces face auxquelles Mike ne conçoit une possible victoire qu'avec le concours de son héros de toujours, son grand frère, dont il est tellement admiratif qu'il le voit même surpasser et enterrer la mort elle-même par la simple fougue et le sentiment d'immortalité que procure la jeunesse. Il y a quelque chose de très touchant qui régit la relation fraternelle entre Mike et Jody tout au long du film, et bien que jamais le film n'insiste dessus plus que cela, on sent constamment la force de ce lien et l'importance qu'il a pour Mike, au point de rendre bien émouvantes certaines scènes, notamment une fois que le jeune homme aura pris définitivement conscience en fin de film que même son grand frère ne pourra vaincre la mort.


Une sorte de version dark et glauque de Quelques Minutes Après Minuit avant l'heure, mais à l'issue beaucoup plus tragique et sombre, la scène finale, si on la prend au sens métaphorique, nous montrant que Mike ne parviendra jamais à accepter et se remettre du départ de son grand frère, et qu'il n'arrivera également pas à surmonter ses propres angoisses vis à vis de la mort malgré le fait qu'il sache que c'est cette peur qui le tue à petit feu intérieurement, comme le lui révélait la voyante plus tôt dans le film.


Dans le registre gestion optimal d'un budget ridicule, le film est là encore un modèle d'efficacité. Bien que l'on se doute qu'il ne s'agisse pas de la dernière grosse production hollywoodienne du moment, je pense que personne n'aurait pu deviner avant de l'apprendre vu le fourmillement d'idées visuelles folles et l'esthétique particulièrement soignée du film qu'il n'avait à sa disposition que seulement 300.000 dollars pour se faire. De ce point de vue-là, le film doit beaucoup à la mise en scène de Coscarelli qui a toujours su prendre les bonnes décisions pour que son long métrage ne paraisse ni complètement fauché, ni ne fasse amateur, sachant faire preuve de retenue quand il le fallait pour pas que le rendu fasse ridicule sans non plus être trop minimaliste au point de louper l'impact des scènes marquantes. Les effets spéciaux, notamment ceux sur la sphère, ont un rendu très satisfaisant encore aujourd'hui, et les scènes dans le caveau de Morningside sont particulièrement belles à voir (la restauration du film en Blu-Ray étant juste magnifique), et contribuent, avec une excellente musique instantanément culte, beaucoup à instaurer un véritable climat de tension et une atmosphère d'angoisse palpable.


Côté acteurs, s'ils remplissent tous leurs rôles comme il le faut, deux sortent néanmoins vraiment du lot par rapport aux autres. Il y a bien entendu le très plébiscité et à raison Angus Scrimm dans le rôle du Tall Man, qui en quelques répliques seulement qu'il sait rendre immédiatement cultes et par ses simples carrures et expressions faciales, arrive à ériger une figure très imposante du cinéma d'horreur, tout aussi mythique qu'un Freddy Krueger où un Michael Myers et qui mériterait vraiment d'être aussi célèbre qu'eux tout en s'en distinguant clairement, qui file méchamment les jetons à chacune de ses apparitions.


Bien moins reconnu et qui joue pourtant un rôle tout aussi fondamental (si ce n'est plus) dans la réussite du film, il y a A. Michael Baldwin dans le rôle de Mike, qui livre ici une interprétation bluffante pour son jeune âge. Souvent à la frontière du surjeu sans jamais basculer dedans, il parvient ainsi à conférer une grande émotivité à son personnage qui lui donne tout juste la fragilité nécessaire pour qu'on puisse vraiment s'attacher à lui et se sentir très impliqué de son devenir au cours du film, renforçant ainsi la tension de ce dernier. Baldwin (rien à voir avec les célèbres frères acteurs d'ailleurs si vous vous le demandiez) parvient également à esquiver, en partie grâce à l'écriture très soignée du film, les pièges inhérents aux personnages d'enfants dans ce genre de fictions, sachant constamment trouver l'équilibre entre l'aspect ado / sale gosse et l'innocence enfantine de son personnage pour que ce dernier ne devienne jamais détestable ou irritant, mais terriblement humain, avec ses forces et ses failles. Clairement, il porte le film dans le gros de ses scènes en sachant parfaitement jouer les nombreuses nuances de son personnage et il y a fort à parier que si Coscarelli n'avait pas réussi à mettre la main sur un jeune acteur aussi talentueux, vu la proéminence du rôle dans l'intrigue, le film aurait sans doute une toute autre gueule ...


Bref, je pense que vous l'aurez compris, pour moi, Phantasm est une réussite absolue, sur toute la ligne. Un film constamment bluffant d'une richesse insoupçonnée qui exploite à fond ce dont il dispose au point de se révéler être une des meilleures œuvres traitant de nombreuses thématiques qui me parlent et me sont chères, en plus de délivrer une histoire qui a su m'embarquer corps et âme dans ce qu'elle avait à m'offrir tant sur le plan affectif qu'intellectuel. Un authentique chef d'œuvre à redécouvrir d'urgence tant il n'a pas à rougir face à bon nombre de références du genre qui ont bien moins bien vieilli que lui.


Il ne plaira pas à tout le monde c'est certain. Son côté décousu et flou, son rythme déroutant, son imaginaire débordant, son refus systématique de prendre le spectateur par la main sur absolument tout et n'importe quoi et sa propension à pousser ses idées à l'extrême qui m'ont tant séduit en rebuteront plus d'un, sans parler bien entendu de la sensibilité personnelle de chacun face à l'univers très particulier qu'il propose et de l'intérêt porté aux thématiques abordées. Mais quoi qu'il en soit, Phantasm offrira au moins l'assurance à quiconque le regarde d'une expérience peu commune et qui ne laissera pas indifférente. Et dans le flot de films interchangeables et oubliables qu'il peut exister dans le monde du cinéma, c'est déjà ça de pris !


Quand à Don Coscarelli, que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam avant cela et que j'ai découvert au travers de cette saga, inutile de dire que j'ai fort hâte de me plonger incessamment sous peu dans le reste de sa filmographie ...

Doctor_Dewey
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le 25 déc. 2017

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