Je vais certainement susciter quelques rancunes.


Dans Pierrot le Fou, Belmondo pose la question suivante à un réalisateur américain: "C'est quoi, le cinéma ?" Celui-ci lui répond: "Cinema is a battleground. It's love. It's hatred. It's emotions." Ironiquement, c'est tout ce qu'il n'y a pas chez Godard.


En fait, Godard dans Pierrot le Fou, c'est presque l'anti-cinéma. C'est la prétention intellectuelle, détestable pour le cinéphile, d'aller au-delà du cinéma en ne respectant aucune de ses règles. Pas de narration. Pas de rationalité. Aucun soin, aucun amour pour la pellicule. On n'a jamais vu autant de mépris pour le septième art.


Le film se trahit, déjà, par son incipit : Belmondo nous fait une lecture solennelle du livre qu'il lit dans sa baignoire. Tout au long du film, ces ennuyeuses scènes de lectures qui n'ont aucun lien entre elles seront répétées. Comme si l'on payait sa place de cinéma pour s'entendre lire des livres. Dès le début, on assiste à un festival pompeux de références littéraires : Balzac, Rimbaud, Céline, et j'en passe... Sans doute pour convaincre le spectateur qu'il voit là un film hautement intellectuel ! En se prenant pour un intello, tout ce que Godard parvient à montrer c'est qu'en réalité le cinéma ne l'intéresse aucunement. S'il n'aime que les textes, pourquoi filme-t-il ?


J'avais déjà eu le sentiment, avec À bout de souffle et Le mépris, que les films de Godard pouvaient être résumés à leurs dialogues. Pierrot le Fou franchit une étape supplémentaire vers le néant. Le film ne raconte rien. Les dialogues sont une conjonction de références savantes et de paroles en l'air. Une vraie torture pour l'intelligence. Godard s'est sans doute cru malin avec ses jeux de mots à profusion. En réalité il ne fait pas vraiment mieux que Philippe Geluck dans ses BD Le Chat.


À ce stade de la critique, pourquoi insister davantage ? Parce que Pierrot le Fou est raté, mais ce qu'il faut bien dire, c'est qu'il est raté jusqu'au bout. Jusque dans les détails techniques. Les plans se succèdent parfois maladroitement, la musique est décalée, elle s'arrête souvent brutalement sans raison, pour reprendre quelques secondes plus tard. Les paroles sont désynchronisées de l'image. Effet de style me dira-t-on.


J'avais davantage apprécié À bout de souffle et Le mépris car ils racontaient au moins quelque chose. Tout le discours critique autour du film cherchant à justifier son succès en expliquant que le génie c'est l'anarchie cinématographique, la sortie du carcan narratif, le reflet d'une époque... me paraît complètement hors de propos. Il y a une évidence du génie. Quand un film est bon, on le sent. Quand un film est mauvais, on le sent aussi. Le reste, c'est du bullshit. D'ailleurs, si le film avait été d'un réalisateur amateur, je suis prêt à parier que personne n'en aurait parlé. Preuve que ce qui fait la réputation de l'oeuvre, c'est l'inébranlable aura intellectuelle de Godard. Parce que c'est Godard, ça doit forcément être intelligent. Eh bien non, en fait ça ne l'est pas.

Philip-Marlowe
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le 22 oct. 2020

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Philip Marlowe

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