Le jeu dont il s’agit ici est celui de l’imitation. On pourrait même parler, pour parodier un titre connu, du charme discret du pastiche. Mais d’abord un détour par deux autres films.


Commençons par évoquer « A la recherche de Vivian Maier ». Dans ce documentaire de 2013, construit comme une enquête policière, John Maloof et Charlie Siskel tracent le portrait de l’une des plus importantes photographes de la seconde moitié du vingtième siècle aussi talentueuse que mystérieuse. Inconnue de son vivant pour n’avoir montré son travail à quasiment personne, Vivian Maier ne sera découverte qu’après sa mort grâce aux caprices du hasard et à l’intelligence tenace de John Maloof. En 2007 celui-ci aura en effet cette chance d’acquérir de façon fortuite un lot considérable d’épreuves, de négatifs et de diapositives, dans une salle des ventes de Chicago alors qu’il était parti pour y trouver une documentation historique sur un quartier de cette ville. Au total, plus de 120 000 prises de vues s’étalant sur trente ans. Convaincu de l’exceptionnelle qualité de ces photos après en avoir fait développer une partie, John Maloof n’aura de cesse que de mettre en lumière cette œuvre originale surgie comme par miracle du néant. Expositions et albums se multiplieront donc de par le monde une fois certaines résistances surmontées. Point important pour le présent propos, l’existence de films super-8 figurant également dans l’immense stock acquis par John Maloof. Des extraits de certains sont montrés dans son documentaire, d’autres ont été présentés à Tours lors de l’exposition 2013/2014 consacrée par le Jeu de Paume à Vivian Maier. Le dossier établi pour l’occasion précisait ceci :



Les séquences super-8 présentées dans cette exposition nous permettent de suivre le cheminement du regard de Vivian Maier. C’est dans les années 1960 qu’elle commence à filmer des scènes de rue, des événements ou des lieux. Sa pratique cinématographique est étroitement liée à son langage de photographe : elle relève de l’expérience visuelle, de l’observation discrète et silencieuse du monde qui l’entoure. Pas de récit, pas de mouvement de caméra (le seul mouvement proprement cinématographique sera celui de l’autocar ou du métro à bord duquel elle se trouve). Vivian Maier filme ce qui l’amène à l’image photographique : elle observe, s’arrête intuitivement sur un sujet et le suit. Le zoom de son objectif lui permet de se rapprocher sans s’approcher et de focaliser son regard sur une expression, une attitude ou un détail (comme les jambes et les mains des individus au milieu d’une foule). Le film est à la fois un objet de documentation (l’arrestation d’un homme par la police ou les dégâts générés par le passage d’une tornade) et un objet de contemplation (l’étrange défilé de moutons aux abattoirs de Chicago).



De là ces interrogations : Vivian Maier avait-elle l’intention de monter ses films et dans l’affirmative de quelle manière ? A défaut de certitudes un indice. Comme on l’a vu, Vivian Maier qui travaillait en fait comme gouvernante d’enfants, n’a développé et tiré qu’une infime partie de ses pellicules mais en prenant soin, dans certains cas, de recadrer les images au tirage. On peut dès lors supposer qu’elle aurait tout autant soigné un éventuel montage de ses films super-8. Laissons cependant là cet hypothétique long métrage pour un autre, bien réel celui-ci, à savoir « Faites le mur » de Banksy sorti en 2010.


L’histoire raconte en substance la transformation de Thierry Guetta en Mr. Brainwash, soit celle d’un marchand français de fringues vintages installé à Los Angeles en un artiste côté coqueluche du marché de l’art urbain. Cette mutation commence avec l’acquisition par Thierry Guetta de sa première caméra et se poursuit par les retrouvailles avec son cousin qui n’est autre que Space Invader, le célèbre artiste de rue dont on connait les mosaïques. Se passionnant alors pour le Street Art Thierry Guetta filmera de façon compulsive tous ces créateurs de la scène urbaine qui semblent l’avoir accepté comme documentaliste de leurs œuvres. Des milliers de cassettes vont ainsi s’entasser pêle-mêle chez lui. A partir de celles-ci et sous l’amicale pression de ceux qu’il a filmé, Thierry Guetta finira par réaliser son documentaire qui, à vrai dire, ne ressemble à rien. Les extraits repris par Banksy dans son propre long métrage sont suffisamment éloquents.


Deux portraits donc, celui de Vivian Maier et celui de Thierry Guetta, totalement différents l’un de l’autre, mais qui tous les deux soulèvent des mêmes questions : que faire avec des bobines cinématographiques réunies au fil des ans par un cinéaste amateur ? Permettent-elles une fois montées, de faire voir un récit cohérent ?


Avec « Play » Anthony Marciano et Max Boublil y répondent par un film à la fois ingénieux et jubilatoire. Les deux compères nous montrent en effet ce qui à première vue apparaît comme un montage réussi de vingt cinq années de filmage au petit bonheur la chance. Défile devant nos yeux la vie de Max qui de 1993 à 2018, n’a jamais cessé de filmer. La première date étant celle de ses 13 ans où il a reçu en cadeau de ses parents sa première caméra, la seconde celle du décès de sa mère qui l’amènera en guise d’hommage à réaliser un film autobiographique utilisant enfin toutes ces images arrachées depuis si longtemps au passé. Pour séduisante qu’elle soit cette lecture est cependant trompeuse car en vérité « Play » joue à faire comme si. Comme si depuis son plus jeune âge Max Boublil s’était toujours baladé caméra à la main, comme si durant un quart de siècle des monceaux de pellicules s’étaient accumulés dans sa chambre, comme si leur tri avait enfin débouché sur une œuvre structurée. Avouons-le, on n’y voit longtemps que du feu tant l’illusion est parfaite. Le fait que Noémie Lvovsky et Alain Chabat tiennent les rôles des parents de Max aurait dû pourtant nous alerter plus tôt. Eh oui, prouesse du réalisateur, tout est ici brillamment factice. Avec bonheur, Anthony Marciano est parvenu à pasticher ces films d’amateurs tournés le plus souvent avec un caméscope en en copiant les tics et les travers : images tremblées, cadrages approximatifs, absence de véritable trame narrative, moments festifs principalement mis en avant. A quoi s’ajoute la pétillante prestation de tous ces jeunes qui, pour marquer l’écoulement du temps, interprètent avec un mimétisme troublant le rôle de Max et des membres de sa bande à l’âge tendre de l’adolescence. Aussi brillant soit-il cet exercice resterait vain s’il devait se limiter à cette seule prouesse formelle. Ecoutons là-dessus l’un des personnages de la romancière Batya Gour dans « Meurtre à l’université » :



Après tout, les thèmes abordés par les artistes sont toujours les mêmes. Vous êtes-vous déjà demandé de quoi traite une œuvre d’art ? De l’amour, de la mort, du sens de la vie, du combat de l’homme contre son destin, contre la société, de ses rapports avec la nature, avec Dieu. La force de l’art réside dans sa capacité à exprimer, chaque fois de manière différente, les préoccupations communes à toute l’humanité.



Objectif atteint ici. Anthony Marciano et Max Boublil nous parlent de ces amitiés qui naissent sur les bancs de l’école et dont la solidité est un réconfort lorsque surviennent les peines. Celles que peuvent causer l’abandon d’un père refaisant sa vie ailleurs, puis celles qui s’abattent sur vous à la mort d’une mère que l’on croyait éternelle. « Play » nous conte aussi et surtout, avec beaucoup de pudeur, une belle histoire d’amour, celle de Max et d’Emma. Alors que depuis toujours ils semblaient faits l’un pour l’autre il faudra vingt cinq années et de nombreux chemins de traverse pour qu’ils finissent par s’avouer leurs sentiments. Comme quoi, mon cher Max, rien ne sert d’avoir continuellement l’œil rivé à une caméra pour ne pas avoir vu ce qui, depuis le début, crevait l’écran. Et puisque tout finit toujours par des chansons, celle de Louis Chedid, ou du moins des extraits, le début et la fin « D’ainsi soit-il » :



Moteurs
L’action se déroule dans ta ville
Vue d’hélicoptère ou du haut d’un building
Et puis la caméra zoome avant
Jusqu’à ton appartement
Ainsi soit-il
Tel est le nom du film
Comme il est dit dans l’scénario
Gros plan de toi dans ton berceau
Comme il est précisé dans le script
Lumière tamisée flou artistique
Ainsi soit-il
Tel est le nom du film
Flash-back tu regardes en arrière
Oui toutes les choses que t’as pas pu faire
Tu voudrais disparaître dans l’rétroviseur
Mais personne n’a jamais arrêté l’projecteur
Ainsi soit-il
Tel est le nom du film
Travelling sur un corbillard qui passe
Sans faire de bruit sans laisser de trace
Un bébé qui pleure dans la maison d’en face
Quand quelqu’un s’en va un autre prend sa place
Ainsi soit-il
Tel est le nom du film
Alors la caméra zoome arrière
Et tu r ‘montes dans l’hélicoptère.


Athanasius_W_
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le 20 déc. 2019

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Athanasius  W.

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