Voilà déjà une dizaine d’années, Nine Antico fit le buzz avec un très beau livre, "Girls Don’t Cry", qui mêlait joliment chronique des émois de jeunes parisiennes branchées et références musicales, le tout saisi par un dessin aussi stylisé que vif et « frais » (comme on ne disait pas encore autant alors…). Si l’on n’a – grosse erreur – pas suivi avec autant d’assiduité qu’il l’aurait fallu la carrière de cette « sœur en rock’n’roll », la sortie de son premier long-métrage, le joliment nommé "Playlist", est l’occasion rêvée de retrouver une artiste avec laquelle on se sent naturellement « en phase ».


Filmé dans un noir et blanc pertinent, reposant largement sur le jeu toujours aussi solide de la frémissante Sara Forestier – l’une de nos grandes actrices françaises, pas assez utilisée -, "Playlist" parle apparemment des mêmes choses que "Girls Don’t Cry" : la difficulté de filles – devenues femmes sans s’en être rendu vraiment compte – à trouver l’Amour, les galères pour percer dans les milieux artistiques… et le Rock, comme boussole au milieu du chaos général. En ouvrant son film sur le magistral et déchirant "True Love will Find You in the End" de Daniel Johnston, Antico abat d’entrée son jeu : son film parlera d’indépendance (« indie » comme le Rock qu’elle écoute, Sophie l’est naturellement, même si le désir d’intégration sociale, de succès, ou même de normalité l’étreint régulièrement…), d’amour, et d’épreuves. Et tout finira bien. Ou pas. Mais sur le chemin, de rencontre en rencontre, de ratages en échecs, Sophie aura vécu.


"Playlist" n’est pas un film, comme nous l’imaginions a priori, qui s’inscrit dans la suite de l’incontournable Nouvelle Vague, malgré les similitudes d’approche et de thème avec les classiques de Truffaut ou de Godard : du fait de sa culture sans doute, Antico réalise plutôt une sorte de variante française du cinéma indépendant new-yorkais, évoquant régulièrement la touchante maladresse d’une Greta Gerwig, ce qui est déjà pas mal. Avec ce mélange de justesse tremblante dans la description d’un mal-être profond, sans en faire pour autant tout un plat, et d’humour de petite guerrière…


Car on rit beaucoup en regardant "Playlist", grâce à de beaux personnages de filles un peu égarées – à la recherche de l’orgasme introuvable, d’un succès qui persiste à fuir, ou de la stabilité du couple tout simple –, et de garçons bien ridicules, voire parfois dégueulasses (référence godardienne) : entre Killofer qui offre du babysitting à une jeune femme qui voudrait percer dans la BD, et un macho libertin maladroit se prétendant féministe, en passant par un grand amour qui n’aime pas ses phéromones, Sophie est bien mal barrée, mais le spectateur ne résistera pas à quelques beaux éclats de rire. La palme revient quand même à Grégoire Colin, formidable dans un personnage insupportable de patron d’une maison d’édition de bandes dessinées, qu’on aimerait d’ailleurs voir plus dans le film.


Et oui, "Playlist" parle de BD, puisque c’est un milieu qu’Antico connaît forcément bien : on peut imaginer que les petites piques – quand même assez tendres – qui parsèment le film quant aux travers du milieu ont été nourries par des expériences personnelles. Mais, répétons-le, "Playlist" parle surtout de musique : à l’aide de l’une des plus belles BO entendues depuis très longtemps (Johnston donc, mais aussi Yo La Tengo, Vivian Girls, Dame Area, et tant d’autres…), Antico nous rappelle aussi combien, face au désarroi intime comme aux drames les plus graves, la Musique nous porte, nous soulage, nous sauve même parfois.


Sans doute "Playlist" nous a-t-il particulièrement touché parce qu’il travaille des choses importantes pour nous – la bande dessinée, le rock lo-fi ou punk, le cinéma indépendant, pour faire simple -, mais le grand talent de Nine Antico – et de Sara Forestier – est, reconnaissons-le de savoir évoquer simplement des choses importantes pour tous : de la galère des punaises de lit, du prix élevé des bons matelas, jusqu’au sentiment d’avoir raté sa vie parce qu’on n’a pas été à la bonne école au bon moment, et à la tristesse infinie d’un avortement inévitable, en passant par les milles et uns bobos quotidiens du corps et de l’âme, il y a déjà beaucoup de choses dans ce premier film.


On espère une suite, très vite : l’apparition d’une vraie cinéaste là où on avait déjà une belle auteure de BD est une formidable nouvelle.


[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/06/08/playlist-de-nine-antico-le-vrai-amour-a-la-fin-ou-pas/

EricDebarnot
8
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le 7 juin 2021

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Eric BBYoda

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