Quand on dit "film de Yann Moix", on a tendance à penser directement à Cinéman (2009). Un ratage artistique total, doublé d'un bide commercial monumental (304 555 entrées pour 19 millions d'euros de budget) et d'une production catastrophique (*). Avec le temps et malgré les rediffusions, on a même tendance à oublier que Yann Moix est aussi le réalisateur de Podium.


S'il a été un peu éclipsé par Les choristes (Christophe Barratier) sorti le mois suivant, Podium n'en reste pas moins le troisième plus gros succès français de l'année 2004 avec 3,5 millions d'entrées pour un budget de 9,9 millions d'euros. Cela est d'autant plus cocasse que le film fut un succès surprise, dégommant la concurrence particulièrement forte de l'époque, y compris venant de France (Le Manoir hanté, Les rivières pourpres 2, Les onze commandements).


Si Benoît Poelvoorde était déjà connu pour C'est arrivé près de chez vous (1992), Les randonneurs (Philippe Harel, 1997) ou Le boulet (Berberian, Forestier, 2002), sa carrière explose définitivement avec Podium, l'imposant comme un acteur principal solide. On peut dire la même chose en ce qui concerne Julie Depardieu dans le sillon de La petite Lili (Claude Miller, 2003). Sans compter des actrices que l'on verra par la suite à la télévision (Marie Guillard, Odile Vuillemin et Nadège Beausson Diagne) ou au cinéma (Anne Marivin). Il est bon de souligner que malgré cinq nominations, Podium est reparti bredouille des César.


Il existe également une version longue du film que l'on peut qualifier de "quand il n'y en a plus, il y en a encore" (disponible uniquement sur l'ancienne édition collector DVD). La version cinéma est plus digeste, même si quelques ajouts ne font pas de mal. Ainsi, on s'amusera de l'attentat survenu dans les toilettes du fameux Renato (Jean-Luc Porraz) ou de quelques vannes en plus ici ou là. Néanmoins, 25 minutes en plus c'est tout de même beaucoup, surtout quand cela tient davantage du bonus.


Moix a toujours voulu faire un film de Podium, mais il a dû se contenter dans un premier temps d'un roman (2002). Une fois le budget trouvé, il peut réaliser son premier long-métrage avec l'acteur qu'il avait en tête dès le départ (Poelvoorde donc), tout en effectuant diverses modifications par rapport au texte de base. Madame Frédéric (Julie Depardieu) était initialement une Bernadette à la retraite, là où elle déteste totalement Claude François dans le film. Couscous (Jean-Paul Rouve) était un sosie de C Jérôme, ici de Michel Polnareff. Il était également le beau-frère de Bernard Frédéric. Bien qu'un élément soit identique, la fin du roman est beaucoup plus tragique. Si d'autres éléments ont été rajouté ou modifié, cela n'atténue jamais la portée de Podium.


Sous ses apparats de comédie populaire, le film prend son sujet au sérieux, évoquant assez bien le phénomène d'identification à une idole jusqu'à en devenir un sosie. Bernard Frédéric avait atteint un degré phénoménal avant "sa retraite" et la reprise va être aussi fracassante. S'il est lucide sur ce qu'il fait (comme il le dit au psychothérapeute joué par Dominique Besnehard, il n'est pas Claude François, il est sosie de Cloclo), il n'en reste pas moins dépendant, au point de prendre tout le monde sur son passage.


Il en est de même pour Couscous. Si Bernard ne reste pas universellement en Cloclo, ce n'est pas le cas de son ami qui est constamment grimé en Michel Polnareff. Sans compter que les sosies d'une même personnalité n'hésitent pas à miser sur les coups bas pour réussir, quand ce ne sont pas les groupes de sosies qui s'affrontent (les Cloclos ne supportent pas les Sardous et font souvent des ratonnades dans leur club). Même la description des sosies tient de la folie furieuse et montre que Moix est allé à fond sur les détails.


Mais le réalisateur montre aussi tous les revers de la médaille. Si ces sosies sont aimés des fans de l'artiste en question, quitte à ce que certains deviennent des "stars" ; leur vie personnelle est dans l'ensemble un désastre. Certains collent tellement à la vie de leur idole que cela en devient délirant (cf ce sosie de Johnny qui ne veut pas d'enfant maintenant, parce que Halliday ne veut pas en avoir pour le moment avec Laeticia). Couscous n'a aucune vie sociale, est interdit bancaire et on se demande même comment il s'en sort financièrement.


Bernard est un terrible exemple, ne comprenant pas le chaos qu'il crée autour de lui, entre une femme qui apparaît comme une voie de la sagesse qu'il n'écoute ; un fils auquel il ne semble pas donner de signe d'affection (Nicolas Jouxtel) ; une maîtresse qu'il baise uniquement en pensant à des chansons; et des gens comme des amis qu'il méprise plus qu'autre chose. Il est excessif partout, y compris dans sa passion maladive et Poelvoorde peut alors s'en donner à cœur joie. Podium est un exemple type du film où l'acteur est déchaîné, tout en étant contrôlé. Il s'est donné à fond dans la danse et le chant et cela se ressent dans sa prestation. On peut en dire autant de Jean-Paul Rouve comme de Julie Depardieu.


Moix s'éclate particulièrement lors des shows musicaux ; et on ne peut qu'halluciner en voyant à quel point Cinéman n'atteint jamais le niveau technique de Podium. A se demander si c'était de la chance ou une régression, rendant Podium unique à sa manière.


* Voir https://www.bfmtv.com/people/cineman-l-histoire-secrete-de-la-superproduction-ratee-de-yann-moix_AN-202008030046.html




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le 29 nov. 2022

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