Polisse
7.2
Polisse

Film de Maïwenn (2011)

Un film qui remue, dérange, et ne laisse jamais indemne...

Il y a dans Polisse une énergie brute, presque électrique, qui pulse sous chaque scène. Maïwenn ne filme pas la Brigade de Protection des Mineurs comme un simple décor sociologique, mais comme une arène où l’humain devient incontrôlable, magnifique, déchirant. Le film fonctionne comme un carnet de bord fiévreux, écrit à l’encre d’urgence par une équipe qui serre les dents pour tenir debout.


Ce qui frappe d’abord, c’est la polyphonie. Polisse ne se laisse pas dompter par un héros central : il circule, il vibre, il attrape chacun de ses personnages au vol, les laisse s’épandre, éclater, s’effondrer. Cette mécanique chorale crée quelque chose de rare dans le cinéma français récent : une impression de réel qui n’a pas besoin d’être justifiée, parce qu’elle vit d’elle-même. On a l’impression d’être projeté dans une salle d’interrogatoire, dans un fourgon de patrouille, dans une cuisine de commissariat saturée de fatigue, sans jamais sentir la mise en scène nous prendre par la main. Le film ne déroule pas une intrigue, il documente un vertige.


La force du récit réside dans cette tension permanente entre le devoir et l’usure. Les policiers de la BPM encaissent l’indicible au quotidien, et Maïwenn capte ce glissement subtil où la compassion se heurte à la saturation émotionnelle. Un regard qui se détourne une demi-seconde trop tôt, un rire nerveux qui casse une atmosphère de gravité, un effondrement qui transperce après des semaines de retenue. Le film ose montrer l’épuisement comme un geste politique : rappeler que la violence des crimes inflige aussi une violence à ceux qui les recueillent.


Les performances sont puissantes, nerveuses, parfois à vif. JoeyStarr, incandescent et fragile, offre une présence qui happe l’écran. Karin Viard, en équilibre entre colère et vulnérabilité, déploie une palette bouleversante. Ensemble, avec le reste de la troupe, ils composent un collectif intense, chaotique, profondément humain. Aucun rôle n’est décoratif : chacun ajoute une fissure, une nuance, un éclat.


La mise en scène de Maïwenn, caméra-épaule, proche des corps et des respirations, capte les micro-tremblements, les tensions de mâchoire, les silences encombrés. Certains lui reprocheront une forme d’hystérisation, mais c’est précisément cette matière brute qui rend Polisse si percutant. Le film refuse la pudeur factice ; il expose la fatigue, le trouble, le trop-plein difficile à dire ou à montrer.


La scène finale, d’une sécheresse brutale, reste un choc. Pas pour créer un effet, mais pour rappeler que certains métiers ne connaissent pas de sortie élégante. Ce choix de mise en scène transforme le film en uppercut moral : on ressort vidé, conscient que cette immersion ne nous appartient qu’une nuit, alors qu’elle est le quotidien d’autres.


En définitive, Polisse n’est pas un film sur la police, ni même un film sur les enfants. C’est un film sur les limites : celles qu’on touche, celles qu’on franchit, celles qu’on ne voulait pas découvrir.

Maïwenn signe ici un de ses travaux les plus forts : un cinéma qui n’explique pas le monde, mais l’attrape par ses bords tranchants.

Créée

il y a 5 jours

Critique lue 4 fois

Miss Chrysopée

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