Porno
5.4
Porno

Film de Keola Racela (2019)

Porno (Keola Racela, U.S.A, 2019, 1h38)

Petit trip horrifique des plus sympathiques, cette production est signée Fangoria, qui redonne actuellement un souffle au ciné horrifique Bis. En collaboration avec la plateforme Shudder, elle aussi en quête de retrouver l’atmosphère horrifique qui s’était un peu fait la malle dans les œuvres de genre. Avec Jason Blum, qui de son côté est lui aussi en train de lancer avec succès un retour de l’Horreur, le genre semble avoir de beaux jours devant lui.


4 ados employés d’un cinéma se voient confier la responsabilité du lieu durant toute une soirée par le gérant, Mr Pike, un homme particulièrement dévot, qui débute chaque soirée par une prière collective. Pour remercier le seigneur de l’opportunité qu’il leur est donnée de devenir les bonnes personnes qu’ils désirent être.


Est également présent Heavy Metal Jeff, un ancien addict’ devenu Staight Edge (qui est à l’origine d’une des meilleurs vannes), que Mr Pike a aidé à s’en sortir, en lui permettant de retrouver Dieu. Le gérant est plus qu’un employeur, c’est un modèle de droiture. Ses employés se retrouvent ainsi seuls, lorsque dans la salle obscure un vieil homme intoxiqué se met à hurler des paroles incompréhensibles, à rire comme un fou, et même à briser le mobilier.


C’est le point de départ d’une aventure des plus horrifiques pour les cinq protagonistes, qui se retrouvent prisonnier d’un cinéma devenu un piège, à la merci d’une bobine maléfique qui fait naître chez eux les plus vils instincts d’une sexualité débridée, d’une excitation débordante et incontrôlable. Eux, pour qui le rapport à la sexualité est obscure, puisque c’est un péché.


Tout d’abord, ‘’Porno’’ est une aventure absolument généreuses. Dans son ambiance parfaitement distillée par un mélange de tragi-comique, d’épouvante et d’horreur pure. C’est un peu par moment comme si ‘’Scooby-Doo’’ rencontrait ‘’The Exorcist’’. Prenant régulièrement la tangente de ce genre d’extrême, avec une bonne humeur généralisée.


Avec un humour mordant, qui fait mouche, le récit oscille ainsi entre des séquences bien gores (Une en particulier. Messieurs préparez-vous, ça fait mal), un érotisme démoniaque, un second degré palpable, et une quête initiatique pour les protagonistes. Eux, qui à leurs dépens en apprennent un plus sur qui ils sont à mesure que la soirée part dans tous les sens, surtout les plus inattendus.


Avec une approche légèrement méta-moderniste de l’Horreur, le film de Keola Pacela fait à plus d’une reprise référence au fait qu’il est une œuvre cinématographique d’un genre bien précis. Les personnages sont conscients de ce qui leur arrive, leurs réactions, surtout celle du projectionniste Jeff, sont stéréotypées, mais ne tombent pas dans le cliché, car c’est un parti pris complètement assumé. Ça rend l’ensemble fun à regarder, tellement c’est efficace, et rythmé.


Il n’est pas laissé beaucoup de temps pour s’ennuyer, puisque le film vogue de séquence en séquence en apportant sans cesse de nouvelles idées, construisant une intrigue qui révèle peu à peu les personnalités plus profondes des protagonistes. Ils ne sont pas aussi lisses que les conventions qu’ils campent. Bien définis dès le départ, puisque présentés comme des clichés, ils évoluent et se développent. Ce qui permet à Keola Racela d’aborder des thèmes bien plus sérieux que ne le laisse penser l’ambiance du film.


Ainsi est questionné le rapport à la sexualité, par deux personnages un peu (voir beaucoup pour un) voyeurs. Mais aussi le rapport à la pornographie, et cette fascination pour un interdit qui décuple les sens. Même contre la volonté des individus. Ainsi ces jeunes victimes pieuses, élevées dans le culte du Christ, à l’ombre du péché originel, sont confrontés à du porno, et du gore. Chacun réagit dès lors selon sa personnalité.


Bien plus malin que ne laisse penser son synopsis, son affiche, et la première demi-heure, ‘’Porno’’ prend une direction inattendue, abordant des problématiques universelles. Questionnant la place de la pornographie dans la société. Alors que la confrontation à d’images violentes est quotidienne, c’est presque banal pour l’opinion de voir une ville en guerre, jonchées de cadavres. Par contre deux personnes en plein coït, un acte finalement assez banale et quotidien, et la morale est choquée.


Cela fait penser à cette anecdote des années 1970, en pleine guerre du Vietnam, lorsque les informations télévisées montraient les images du conflit, les cadavres brûlés au napalm, les corps décharnés par les explosions et les balles. John Lennon et Yoko Ono avaient alors sortis une série de photos où ils sont nus dans un lit. Le scandale fût immédiat.


C’est cette hypocrisie que pointe du doigt ‘’Porno’’. À l’heure où ce sont les sites pornographiques qui comptent le plus de connexions au quotidien, il aborde cette bigoterie de façade par un méchant tacle à la religion. En effet le Christianisme prend un sacré coup dans les burnes, présenté comme responsable de la schizophrénie de nos sociétés occidentales, fondées sur ses principes, aujourd’hui bien désuets. Le personnage de Mr Pike est en cela des plus intéressant, puisqu’il représente à lui seul la dévotion suprême, au point de tout en remettre à la volonté du Seigneur. Quand lui-même, en loucedé, s’adonne à des pratiques pas très catholiques.


Prenant place en 1992, ‘’Porno’’ aborde le sujet de la démocratisation de l’homosexualité, qui jusque dans les années 1980 avait encore très mauvaise presse. Ce qui autorise de bonnes blagues, par des perso’ qui voient ça comme contre nature. Mais aussi, ça offre une grosse réflexion, puisque la jeune homosexuelle du film est considérée comme malade. Et Mr Pike lui propose de le remettre dans ‘’le droit chemin’’. Aujourd’hui encore il existe aux États-Unis des institutions spécialisées pour ‘’guérir’’ les homosexuels : les NARTH pour ‘’ The National Association for Research & Therapy of Homosexuality’’. Dont le vice-président Mike Pence est un ardent défenseur.


Bien moins idiot qu’il n’y paraît donc, ‘’Porno’’ utilise les ressources misent à sa disposition par le biais d’une situation dans laquelle il pousse ses personnages à bout. Dès lors la présence du cinéma, la représentation à travers un projecteur, une dimension sataniste dans un milieu baignant dans la chrétienté, ses réflexions sur l’addiction, la bêtise de la dévotion aveugle, l’incapacité à trouver sa place dans une communauté à cause d’une ‘’différence’’, deviennent tout autant de thématiques passionnante abordées par ce métrage.


Son décalage et son humour permettent de rendre tout ça d’autant plus pertinent, par un sens aigu de la dérision, faisant de l’ensemble une œuvre très riche, étonnant pour une si petite production. Mais qui a tout ce qu’il faut pour plaire, car authentique et efficace elle forme un film d’Horreur cohérent en tout point, avec tout ce que le genre peut proposer de plus fun.
Comme le dit Heavy Metal Jeff : ‘’Woaw’’.


-Stork._

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le 13 avr. 2020

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