Le nom est sans doute lourd à porter, mais le jeune réalisateur arrive à s’en détacher pour faire de son film, une oeuvre tenace qui n’a pas froid aux yeux.


Après Antiviral qui nous proposait une société où l’on pouvait s’injecter les virus ayant contaminé les stars, Brandon Cronenberg, cette fois-ci, nous plonge dans une organisation secrète qui permet à des tueurs à gages de prendre la possession du corps d’une personne afin de tuer des cibles prévues. Sauf que l’une des missions va mal tourner et l’hôte va se rendre compte qu’il n’est pas seul à régir les mouvements de son corps. Une nouvelle fois, le cinéaste s’intéresse à l’implantation de l’intrus biologique, à l’interaction entre sujets hôtes et matriciels, à l’identité multiple et à la duplication de celle-ci dans notre organisme, et voit au travers de Possessor, la chair comme une matière faite uniquement de sang, déchirée et déchiffrable à foison, qui n’est qu’une enveloppe parmi tant d’autres, faisant de nous des marionnettes. Le corps est une prison de laquelle on peut donc s’évader, mais pas sans conséquences pour l’esprit.


En ce sens, l’introduction de Possessor, flamboyante et viscérale, contiendra toute la force de frappe du film : une réalisation léchée voire millimétrée, un décorum SF plus proche de la dystopie luxuriante et contemporaine que du fantastique, une ambiance froide de thriller et de films d’espionnage, un concept qui s’innerve par le biais du découpage et de multiples plans sur les corps en charpie, puis des mises à mort frontales qui n’hésitent pas à finir en bain de sang. Heureusement, l’oeuvre sera à l’image de son introduction, habitée, palpitante, aimant jouer sur deux tableaux : l’incarnation et la désincarnation. Brandon Cronenberg ne révolutionne en rien l’idée même du thriller SF mais le fabrique avec une conscience de tous les instants et une certaine vision de la violence.


On pourra, pour certains notamment, bien reprocher des choses à ce film : la filiation avec le cinéma de son père, la complaisance du gore (artisanal), la prétention de l’ensemble qui se veut extrêmement solennel, voire la restriction du sujet de série B par rapport à son potentiel de départ. Pourtant, c’est tout ce qui fait le charme de l’oeuvre : son rétrécissement, son intransigeance, son abandon total dans le cinéma de genre et son attention toute particulière à son visuel, qui notamment dans sa deuxième partie, joue avec les codes du cinéma expérimental. Là où David Cronenberg voyait le corps comme une matière en perpétuelle mutation, en fusion avec la technologie ou même en pleine difformité, son fils se joue du corps pour en faire un vêtement consommable et purement factice, une enveloppe qui tend à disparaitre quoi qu’il en coute dans une société où la vie privée et les données personnelles ne sont que de la poudre aux yeux.


De la matérialisation, le sujet en vient à la dématérialisation du corps, à la dérive de l’affranchissement des barrières de l’âme et arrive parfaitement à l’inscrire dans son récit et dans cette dualité finale, qui relève quelques surprises. Avec cette modernité morbide, malheureusement sans doute trop consciente d’elle-même, Possessor évite le piège du film « high concept » qui s’effilocherait au fil des minutes. Au contraire, le ton se durcit, la violence se fait machinale voire obligatoire et l’ambiance paranoïaque en devient anxiogène jusqu’à son final mortifère. Brandon Cronenberg manque peut être d’une vision plus ample et plurielle, mais Possessor ne quitte jamais ses rails initiaux : précis et tenace jusqu’au bout des ongles.


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Velvetman
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le 15 avr. 2021

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