Ça me fait vraiment de la peine de lui mettre cette note-là parce que par ailleurs c'est un vrai beau film. Il y a certains moments qui sont comme des pause dans le récit, des parenthèses, et où le réalisateur se laisse soudain aller à un véritable art de la dérive : on va insensiblement jouer avec les éléments du décor et le cadre pour doucement tenter d'aller chercher quelque chose d'autre, un à-côté de la scène, qui auréole tout à coup ses éléments d'une légèreté, d'une fragilité, comme si tout pouvait être balayé par une simple brise. De la sorte, il s'insinue au sein de l'mage un mystère, une énigme, invisible, mais bien présent, et qui a à voir avec l'histoire : c'est un souvenir perdu qui dérègle ainsi avec une infinie douceur la mise en scène.


Mais ces parenthèses proprement bouleversantes sont "interrompues" par le récit en lui-même. Alors le regard est obligé de se concentrer sur ces scènes-là, et la dérive devient plus difficile. Sur la longueur, on peine à tenir : ce même art de la dérive nuit à l'épaisseur des personnages, leur ancrage dans un lieu ; nuit, d'ailleurs, à ces lieux mêmes, à leur présence. La confusion passé/présent, ici/ailleurs, ôte tout repère au récit et le fait vaguer dans une zone trouble où le sentiment peine à s'attacher. Les dialogues, qui disent la déchirure, la perte, deviennent trop long, car ils ne disent pas cette déchirure et cette perte aussi bien que ne le font les parenthèses.


C'est pour cela que je pense que La Forêt oubliée est bel et bien le chef-d'oeuvre vers lequel s'achemine Kohei Oguri. Car, ici, il ne subsiste, précisément, que ces "parenthèses" du récit, ces moments de suspension, où l'événement nous sidère par sa beauté tranquille et son surgissement sans éclat. Cinéaste de la trace, du signe, du "souvenir perdu", qui fait voyager le présent dans le temps en en effaçant méticuleusement les contours, il lui aura fallu passer de cette "rivière boueuse" appesantie d'un lieu, d'une concréité, d'une présence (ce n'est pas péjoratif, c'est justement la réussite de ce film - La Rivière de boue), à ce petit village en lévitation qui s’élève dans les cieux comme dans un rêve à mesure que les fantômes du passé réinvestissent les lieux, comme s'ils retrouvaient un foyer trop longtemps quitté.

Créée

le 18 mai 2020

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