La bataille d'Alep vécue de l'intérieur, côté assiégés

C'est un très impressionnant documentaire tourné par une jeune journaliste syrienne sur la bataille d'Alep (2ème plus grande ville de Syrie, située dans le nord-ouest du pays), bataille qui s'est déroulée de mi-juillet 2012 (début d'une rébellion au régime de Bachar el-Assad) à mi-décembre 2016 (capitulation des rebelles de l'armée syrienne libre le 13 du mois, puis évacuation de trente mille civils et de quelques milliers de rebelles entre le 15 et le 22 décembre 2016).
Cette jeune journaliste a connu à Alep un des jeunes docteurs engagés du côté des rebelles au régime et l'a épousé. Ils ont eu une petite fille : Sama. Et les images qu'elle enregistre depuis avant son mariage et pendant les presque cinq ans qu'a duré cette bataille pour le contrôle d'Alep, un fait saillant de la guerre civile opposant les "forces rebelles de libération" de la Syrie aux forces gouvernementales loyalistes de Bachar el-Assad (assistées de l'Iran, puis aussi de la Russie), elle les destine à sa fille qui, via ces vidéos, pourra, devenue grande, comprendre pourquoi son père médecin et sa mère journaliste (et co-réalisatrice du documentaire) sont restés à Alep - avec pour objectif de libérer la ville (voire tout le pays) de l'oppression d'un régime qu'ils jugeaient inique - durant toutes ces années où la guerre y a fait rage et ne l'ont quittée (leur bébé toujours avec eux) qu'au moment de son évacuation générale par les rebelles, en n'étant d'ailleurs absolument pas certains de réussir à passer les points de contrôle tenus par les loyalistes du régime.
Les vidéos, tournées jour après jour à la sauvette et sur le vif, montrent des images de guerre toujours plus terribles au fil du siège, où la mort vient le plus souvent du ciel, surtout dans les derniers mois de la bataille, car les forces militaires russes interviennent en faveur du gouvernement syrien de Bachar à partir de fin 2015 et leurs avions bombardent sans relâche les quartiers d'Alep encore tenus par les "rebelles" (dont Waad al-Kateab, la journaliste qui filme au smartphone ou à la caméra, et son mari médecin, pratiquement le dernier médecin du dernier hôpital de la ville à fonctionner encore vaille que vaille). On voit les hommes, les femmes, les enfants, frappés au hasard, mourir les uns après les autres. Ou survivre par miracle, mais jusqu'à quand, pour quel destin ? Les parents, les mères surtout, pleurent leurs enfants morts, crient et se lamentent. Des flots de sang, des blessés, des mourants partout, à même le sol. On est là, comme au milieu d'eux, avec les rebelles, les femmes, les enfants accablés, égarés, ne comprenant pas vraiment ce qui leur arrive, ni pourquoi leurs frères ou parents ont été tués et pas eux, pourquoi ils les ont laissés là.
Quand cessent les combats, Alep n'est plus qu'un immense champ de ruines. Hier prospère et comptant plus de deux millions d'habitants ; aujourd'hui, quasiment rasée, semblable aux Berlin et Hambourg de mai-juillet 1945. Et pour les survivants, une alternative : l'exil ou la mort.
C'est donc un document accablant, terrible, qui suscite la stupeur, la pitié, le questionnement. Pourquoi cette guerre civile en Syrie ? Pourquoi en arriver à cette extrémité, ces massacres de civils, ces tortures ? Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
En même temps, ce couple journaliste-médecin ne perd jamais espoir, ne baisse jamais les bras, continue de faire corps avec les siens, semble oublier que la mort, qui rode autour d'eux, peut les frapper, eux ou leur petite fille, à tout moment. Quelle leçon de courage, d'humanité, d'héroïsme. Ils soignent, ils opèrent, ils filment, ils témoignent... au mépris du danger. On reste gorge nouée devant leurs gestes, leurs sourires, leurs rares larmes. Et on sort de la projection, la tête pleine de ces questions auxquelles jamais personne n'apporte de réponse satisfaisante.


Pour Sama de Waad al-Kateab et Edward Watts fait écho dans ma mémoire à un autre documentaire, sorti en 2016, sur un sujet relativement proche, le Homeland : Irak année zéro d'Abbas Fahdel. D'une durée de plus de 5 heures trente, il était lui aussi magnifique et, si cela est possible, peut-être plus bouleversant encore.

Fleming
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le 28 oct. 2019

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