On the road noir
Si l'endroit lui paraît familier, ce n'est pas un hasard. En 1947, déjà, Jacques Tourneur avait exploré le film noir afin d'en extraire sa sève intime, son charme vénéneux, son ambiance pesante et...
Par
le 5 mars 2024
5 j'aime
2
Astucieux. C’est probablement la manière la plus juste de décrire Nightfall (Poursuites dans la nuit selon son titre français). Jacques Tourneur renouvelle le film noir en troquant les grands centres urbains pour les régions montagneuses et enneigées du Wyoming. Il immerge immédiatement le spectateur dans un climat de paranoïa : personnage aveuglé par un néon, filature, mystère… Et, tout en conservant ce qu’il faut de suspense, il use de flashbacks pour défaire les nœuds d’une intrigue à la fois archétypale et efficace.
Aldo Ray, au jeu (trop ?) intériorisé et empreint de vulnérabilité, campe James Vanning, alias Art Rayburn, un homme pris en chasse par un enquêteur pour assurances et deux brigands à la recherche d’un magot de 350 000 dollars. À le voir déambuler dans un Los Angeles caractérisé par la vie nocturne et les enseignes luminescentes, l’homme n’a pas grand-chose à voir avec l’idée que l’on se fait habituellement de l’antihéros ambivalent et torturé du film noir. Et pour cause : on apprend, en flashback, qu’il a mis la main, presque par hasard, sur la recette d’un braquage dont il est tout à fait étranger.
Là est la situation extraordinaire qui va bouleverser l’existence de cet homme ordinaire. En cela, Nightfall pourrait presque prétendre à l’étiquette hitchcockienne, rendue d’autant plus légitime par un clin d’œil à Fenêtre sur cour ou par la présence dans le cadre de détails à haut potentiel de suspense : une voiture qui semble venir percuter une caméra, des éléments de décor anxiogènes (des mécanismes industriels, un camion broyeur…) et même… des chaises vides. La mise en scène discrète et sophistiquée de Jacques Tourneur a cette capacité rare de transformer chaque plan en événement potentiel. Les raccords participent d’ailleurs du même effet : par exemple, entre un dialogue et une image (l’heure, la montre) ou entre deux éléments cadrés successivement (des chaussures).
Même quand il semble user de clichés, Nightfall parvient à faire mouche. La séductrice rencontrée dans un bar déborde ici le cadre normé de la femme fatale. Red n’est pas seulement un obscur brigand : c’est un sadique sans scrupules, aux méthodes expéditives et à la fidélité relative. Jacques Tourneur fait par ailleurs montre d’une vraie science de l’espace : un simple mouvement de caméra dévoile une menace létale (dans la cabane), un défilé de mode se leste d’une dimension anxiogène, les montagnes et plaines enneigées du Wyoming nous paraissent familières en quelques plans. Astucieux, on vous disait.
Sur Le Mag du Ciné
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.
Créée
le 8 sept. 2020
Critique lue 176 fois
8 j'aime
D'autres avis sur Poursuites dans la nuit
Si l'endroit lui paraît familier, ce n'est pas un hasard. En 1947, déjà, Jacques Tourneur avait exploré le film noir afin d'en extraire sa sève intime, son charme vénéneux, son ambiance pesante et...
Par
le 5 mars 2024
5 j'aime
2
Globalement ça fonctionne bien. Le récit n'est pas parfaitement construit : cette structure en flashback n'est pas idéale même si l'auteur a l'intelligence de ne pas couper au milieu d'une scène...
Par
le 24 avr. 2018
4 j'aime
Jacques Tourneur revient au film noir, genre où il fait preuve de maîtrise, avec son art habituel pour nous plonger d’entrée dans une atmosphère prenante, tour à tour banale et oppressante. Aldo Ray,...
Par
le 14 juil. 2013
4 j'aime
Du même critique
Parmi les nombreux partis pris de Christopher Nolan sujets à débat, il en est un qui se démarque particulièrement : la volonté de montrer, plutôt que de narrer. Non seulement Dunkerque est très peu...
le 25 juil. 2017
68 j'aime
8
Les premières images de Blade Runner donnent le ton : au coeur de la nuit, en vue aérienne, elles offrent à découvrir une mégapole titanesque de laquelle s'échappent des colonnes de feu et des...
le 14 mars 2017
62 j'aime
7
Une satire ne fonctionne généralement qu'à la condition de s’appuyer sur un fond de vérité, de pénétrer dans les derniers quartiers de la caricature sans jamais l’outrepasser. Elle épaissit les...
le 16 oct. 2017
55 j'aime
9