Primrose Hill
6.5
Primrose Hill

Moyen-métrage de Mikhaël Hers (2007)

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Sèvres, Hauts-de-Seine. Quatre amis marchent sur les hauteurs de Paris, immense colline qui surplombe le décor, laisse entrevoir une vallée pleine de vie, une perspective sans fin, jusqu’à la colline d’en face. Un groupe de quatre souvent séparé en deux, accentuant les individualités mais surtout le dialogue à deux. Le groupe n’a jamais été aussi bien filmé que chez Hers. Les protagonistes se croisent, échangent leur place sans que cela ne fasse prémédité. L’un prend du retard derrière parce qu’il s’allume une cigarette. L’autre se détache afin de passer un coup de téléphone. Mais chaque fois le présent se prolonge. Il n’y a pas une focalisation, il y en a plusieurs. Et au détour de quelques séquences, régulièrement saisies en un seul travelling arrière – Hers filme le groupe en sens inverse de celui filmé par Van Sant : de face. Ils avancent, la caméra recule – s’immiscent des idées, apportant à la séquence une cassure ou un choix surprenant, soit dans sa trivialité, soit même parfois selon un penchant plus comique. Un groupe qui marche ensemble, deux garçons qui échangent d’un côté, deux femmes de l’autre. Un chemin pris par les uns tandis que les autres prennent un raccourci. Peut-être font-ils toujours cela, peut-être est-ce la première fois, on ne sait pas. Puis le groupe se reforme quelques secondes plus tard et le plan, car il n’a pas changé, abandonne la discussion des garçons pour s’immiscer dans celle des filles. Une autre fois, alors que l’une constate qu’elle ne parle qu’avec l’un de musique, qu’ils n’engagent pas de conversation autrement que musicale, c’est l’autre, disparu par une grille dans l’arrière plan un peu plus tôt qui ressurgit au-dessus d’eux, par une grande clôture pour leur faire peur gentiment. Cela, c’est le cinéma de Hers, cette façon si singulière et authentique de filmer le groupe. L’écriture est un événement chez Hers, chaque dialogue est magnifique, une alchimie parfaite qui évite à la fois les facilités et la pose, le dialogue ampoulé ou trivial. Ou alors c’est une trivialité intelligente. Mais le cinéma de Hers est aussi traversé d’un courant mélancolique d’une intensité rare. Primrose Hill n’y coupe pas, c’est même par cela qu’il commence. C’est une voix off qui ouvre le film, celle d’une femme. Elle parle du groupe, d’un groupe de cinq alors que nous ne voyons uniquement quatre personnages. Elle évoque une colline londonienne alors qu’il semble que nous nous situons à Paris. Cette voix off revient régulièrement, mais se détache de l’image, elle occupe une place importante sans pour autant étouffer ce présent que l’on a sous nos yeux. Un présent d’une richesse hallucinante qui outre cette balade qui s’achève par une partie de football improvisée, une virée à l’hôpital pour rendre visite à un ami (proche pour les uns, quasi-inconnu pour les autres, mine de rien ce choix là est important) qui vient de sortir de réanimation, une promenade en médiathèque puis plus tard, offre, lorsque le film choisit définitivement ses deux personnages centraux, deux séquences incroyables. La première, une scène de séduction dans une chambre, d’une finesse et d’une pudeur merveilleuse, alors qu’elle dévoile leur nudité à tous les deux. La seconde, un retour chez les parents de l’un d’entre eux, bouleversante discussion père/fils qui met en lumière ce que l’on commençait à se douter concernant ce cinquième personnage fantôme, qui n’apparaissait jusqu’ici qu’en voix off. Je n’avais pas vu de dialogues aussi beaux depuis Rohmer. Et je n’avais encore jamais vu un groupe aussi bien filmé dans ses individualités. C’est un film dont je me sens incroyablement proche et dans lequel je vois énormément de moi-même. Cette colline de Primrose Hill, bien qu’on ne la voie jamais dans le film, tellement bien évoquée dans le journal de la fille disparue, de même que cette photographie, ultime cliché du temps de paix (remplacé dans le dernier plan par une du présent, à quatre) me resteront longtemps en mémoire. Dans Primrose Hill, le poids du passé, ses douleurs comme ses bonheurs inéluctablement engloutis, est systématiquement rattrapé par un présent fragile mais qui vaut le coup d’y survivre. On peut voir le film telle une construction en partition car si la musique y est concrètement prépondérante (elle est régulièrement évoquée, le groupe d’amis semble aussi être un groupe de musiciens pop et surtout cette cinquième voix évoque Primrose Hill comme le voyage vers les terres entonnées dans le refrain d’un certain morceau…) elle intervient aussi formellement, Hers choisissant un début à quatre instruments (longue discussion en balade) avant d’en isoler deux (intimité de la naissance d’un amour) pour conclure avec un seul, le soliste (le retour chez les parents) et donc créer une sorte de mélodie pop aux doux accents de jeunesse envolée et de grandes espérances possibles.
JanosValuska
9
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le 19 déc. 2014

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JanosValuska

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