Dès les premières secondes, « Pris au piège » impose un rythme effréné : brutal, sans répit, presque suffocant. Loin d’être une simple série B violente, le film se mue en une expérience sensorielle totale, où la mise en scène transforme la dégringolade d’un homme ordinaire en une véritable plongée infernale.
Dans le quartier new-yorkais de l’East Village en 1998, le gentil Henry (Austin Butler), ex-prodige du baseball reconverti en barman, aspire à une vie tranquille avec sa compagne ambulancière (Zoë Kravitz). Mais un choix anodin – accepter de garder les clés de son voisin punk – le précipite dans un tourbillon criminel absurde. Mafieux russes, flics véreux et psychopathes en tous genres s’abattent sur lui, faisant de cet homme lambda une cible incessante. Henry devient une figure paradoxale, quasi kafkaïenne : à la fois anti-héros maladroit et survivant acharné, fragile et obstiné, condamné à encaisser sans cesse des coups mais toujours debout. « Tomber 7 fois, se relever 8 fois… » Le corps martyrisé, il ne devra son salut qu’à l’acceptation de reprendre son destin en main, contraint d’embrasser la violence à son tour pour espérer s’en sortir vivant.
La direction virtuose de Darren Aronofsky surfe sur ce chaos avec une férocité jouissive – exploration surprenante d’un registre policier mâtiné de comédie noire, aux antipodes du style qui a fait la renommée du cinéaste culte de « Requiem for a Dream » et de « Black Swan ». Caméra nerveuse, montage coup-de-poing, couleurs saturées : tout aspire le spectateur dans une tension permanente. Cette frénésie visuelle, proche de l’excès, reflète parfaitement l’épuisement et la confusion d’Henry. On pense à « Good Time » des frères Safdie et à « After Hours » de Scorsese, mais poussés à leur paroxysme. Un véritable exercice de lâcher-prise.
Ce qui fait l’originalité de « Pris au piège », c’est surtout son humour grinçant, niché au cœur de la violence. Pas de dialogues spirituels, mais des situations délicieusement ubuesques, sublimées par une ribambelle de seconds rôles hauts en couleurs (Bad Bunny, Griffin Dunne, Vincent D’Onofrio, Carol Kane etc.), où l’instinct de survie percute la banalité du quotidien. Henry, « looser magnifique » persécuté, traqué par des tueurs déchaînés, s’inquiétant pour le mignon chat de son voisin dont il a la garde, incarne ce mélange improbable de trivial et de tragique. On brûle du désir de lui venir en aide : l’identification est totale – grâce à la prestation incandescente d’Austin Butler qui casse ici son image glamour et rend son personnage infiniment touchant, figure de l’homme simple dépassé par un monde devenu fou.
Et comme toujours chez Aronofsky, la bande-son (signée Rob Simonsen) est aux petits oignons, posée sur les images avec un soin d’orfèvre : post-punk et saturée, incisive avec ses rythmes électro et ses beats oppressants, elle amplifie cette immersion au maximum, en parfaite symbiose avec l’énergie déployée à l’écran… et éclate comme une déflagration de lumière aux instants chocs ! Une pulsation qui ne cesse jamais…
Ode nostalgique et passionnée au New York underground des années 90, « Pris au piège » est un film-uppercut inattendu, à la fois électrisant et ironique, drôle, et cruel, à la folie contagieuse ! Une odyssée existentielle qui rend le chaos étrangement attachant, où l’on rit, tremble et s’attendrit, entraîné malgré soi dans la spirale hors de contrôle de cet homme qui pourrait être nous. À mi-chemin entre thriller urbain et geste d’auteur, on en ressort à bout de souffle mais ivre d’adrénaline, convaincu d’avoir vu un objet filmique hors normes, aux frontières de la transe.
Merci pour ce pur shoot de cinéma, Mr. Aronofsky !