Pray for the best, prepare for the worst

Après le joli succès de son film "Incendies", sorti en 2012, le réalisateur canadien Denis Villeneuve commence sa carrière à Hollywood par deux tournages successifs, à savoir "Enemy" et "Prisoners". Les deux films sortent la même année (en 2013), mais c'est ce dernier qui, présenté en premier, alors qu'il a été tourné en deuxième, attirera tous les regards, aussi bien des spectateurs que de la presse.


Anna et Joy, deux fillettes vivant en Pennsylvanie, disparaissent. L'inspecteur Loki, chargé de l'enquête, envisage immédiatement un kidnapping. Un premier suspect est arrêté, puis relâché, faute de preuve. Cela met en rage le père d'Anna, Keller Dover, qui se lance dans une course contre la montre pour retrouver le coupable et les petites filles. De son côté, l'inspecteur Loki, totalement pris dans cette terrible enquête, fait tout son possible pour résoudre cette sombre énigme et empêcher le père de famille de commettre l'irréparable...


Le film a eu un immense succès à sa sortie, notamment par la critique, et on ne peut que le comprendre. C'est simple, ce film est un chef d'oeuvre. Il a immédiatement été comparé au film "Le Silence des Agneaux" de Jonathan Demme (1991), avec Anthony Hopkins dans le rôle principal, pour ce qu'il a apporté au difficile genre cinématographique qu'est le thriller psychologique. "Prisoners" coche toutes les cases : un scénario bien ficelé, du rythme, des excellents acteurs, une réalisation parfaitement maitrisée...


Effectivement, le premier point fort de ce film est son casting. Les acteurs sont tous excellents. Jake Gyllenhaal, qui campe le rôle de l'inspecteur Loki, a créé un personnage mystérieux et très intéressant (il s'est par exemple donné lui-même un faux tic à l'oeil, visible dés que quelque chose le dérange, l'oppresse), et joue à la perfection ce flic totalement pris dans cette enquête sordide. Hugh Jackman, qui interprète Keller Dover, le père d'Anna, est également excellent, dans les choix difficiles qu'il doit faire. Mention spéciale aussi à Paul Dano (qui joue le premier suspect, Alex Jones, un personnage très étrange), Melissa Leo (la tante d'Alex Jones), Terrence Howard et Viola Davis (les parents de Joy) et Maria Bello et Dylan Minette (la mère et le grand frère d'Anna). Mais, ne nous y trompons pas : ils sont tous géniaux dans leur rôle respectif, et c'est souvent cela qui marque autant les spectateurs dans ce genre de film, à savoir les grandes prestations.


Ce magnifique casting permet ainsi au spectateur de totalement être pris par le scénario. Alors qu'on pourrait penser être dans une "simple" histoire de kidnapping, on se rend rapidement compte qu'on est dans une affaire bien plus complexe et importante que cela. Le film est génial, car il ne cesse de nous amener sur des fausses pistes, avant le dénouement final qui, très franchement, n'est absolument pas prévisible (sauf si on est très malin) et/ou facile, et évite les clichés. Tous les éléments sont correctement présentés, petit-à-petit, pour que la révélation finale soit crédible et compréhensible.
L'enquête est tellement prenante, captivante, oppressante, stressante, que le temps défile tout seul, alors que pourtant, le film dure plus de deux heures et demie. Le scénariste, Aaron Guzilowski, a réussi un coup de maitre.


Et rien de mieux, pour magnifier ce parfait scénario, que de faire appel à un excellent et prometteur réalisateur, Denis Villeneuve. Tous les choix de mise en scène sont cohérents. Le film se concentre essentiellement sur l'enquête privée menée par Dover, et donc on insiste grandement sur les émotions qu'il ressent, notamment face aux choix douloureux qu'il doit faire. On remarque également que l'inspecteur Loki, dont Dover n'apprécie ni les méthodes, ni les décisions, est aussi pris, totalement différemment par cette difficile épreuve. Et de fait, les scènes dans lesquelles on trouve ces deux personnages sont souvent explosives... mais le réalisateur préfère généralement insister sur les émotions ressenties par le père de famille... Ainsi, la caméra sera le plus souvent tournée vers le visage de Hugh Jackman plutôt que vers celui de Jake Gyllenhaal. Par ailleurs, dans une scène diffuse dans laquelle les deux couples parents doivent identifier des vêtements d'enfants, plutôt que montrer les deux couples, le réalisateur préfère s'attarder tout le long sur le personnage de Hugh Jackman : on le voit ainsi d'abord dans la salle d'attente, alors qu'il attend difficilement son tour, puis on le voit lui-même être interrogés et souffrir.
Tous les éléments de mise en scène, que ce soit au niveau du son, du décor (une excellente idée de présenter le film en hiver, avec une pluie constante qui tombe pendant la quasi-totalité du film, et énormément de scènes qui se déroulent la nuit, renforçant le caractère lugubre et sombre de cette enquête), du montage... La photographie, dirigée par le maître Roger Deakins (nominé à l'Oscar de la Meilleure Photographie pour ce film), est sublime, notamment dans l'une des dernière scènes du film, qui se passe la nuit justement, avec un éclairage jaune qui brille sur la route à cause des réverbères, tandis que l'un des personnages est en voiture, avec une impression qu'il roule sur une route en or... La bande originale, composée par le regretté Johann Johansson (décédé en 2018), est magnifique, elle s'insère parfaitement dans le film, avec énormément de sonorités graves, dont certaines ressemblent à des battements de coeur, renforçant le caractère oppressant de l'enquête. Les sonorités sont superbes, très agréables à écouter, et aident parfaitement le spectateur à entrer dans l'histoire.


En clair, "Prisoners" est un film parfait : tous les instruments (acteurs, scénario, musique, photographie, son, montage, décors...) sont parfaitement rodés, et son chef d'orchestre dirige tout cela d'une main de fer. Il est un chef d'oeuvre, et renforce mon gout pour les thrillers psychologiques. Il nous interroge également sur la profondeur de nos pensées, sur les conséquences de nos actes... Comment de personne ayant la foi, croyant seulement à la bonté de l'être humain, on peut vite oublier nos idéaux ? Comment nos pensées et désirs peuvent être pervertis quand on se retrouve face à l'horreur, face au démon ? Comment, en toute circonstance, alors qu'on prie pour le meilleur, il convient de se préparer au pire...

HugoDe_Ranter
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le 20 avr. 2021

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Hugo De Ranter

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