Certains films laissent le spectateur seul face à lui-même, abandonné à une longue introspection sur le comment du pourquoi du qui suis-je, sur l’absurdité d’une vie passée sans avoir jamais lu George Orwell, sur la nécessité de boire pour oublier, sur la raison d’avoir gâché son temps à visionner une telle purge.

Certains films semblent vous chuchoter durant son générique final : tu viens de foutre en l’air 110 minutes de ta vie et elles sont non remboursables.

Virtuosity est de ceux-là.

J’avais pourtant essayé à l’époque de sa sortie. J’avais écrit à la Paramount et leur avais demandé de me rendre mes 110 minutes de vie gâchées. Ils ne m’ont proposé qu’un bon de réduction pour aller voir Meurtre en suspens.

Ou comment me faire dépouiller de 90 minutes de plus.

C’est que, voyez-vous, Virtuosity n’a rien d’un thriller de SF particulièrement palpitant. Un ancien flic endeuillé, injustement emprisonné, y devient le cobaye d’une simulation virtuelle subventionnée par Sega, afin de tester la fiabilité de la Megadrive 32X (les plus vieux gamers se souviendront de comment cela a fini).

Las, la méchante IA du jeu, un psychopathe joliment baptisé Sid 6.7 (Russell Crowe), dont la personnalité est basée sur 183 des personnalités les plus odieuses de l’histoire (Neron, Hitler, Charles Manson, Jeffrey Dahmer, Harvey Weinstein, Donald Trump…) arrive à convaincre son créateur de l’aider à s’incarner in the real life afin de… et bien, afin de tuer tout plein d’innocents, juste pour le plaisir. Transformé en une sorte de T-1000 rigolard et narcissique, Sid 6.7 s’éclate donc à commettre tout plein de meurtres gratuits, un peu comme n’importe quel gamin qui s’éclate à zigouiller du quidam dans GTA V.

Ne sachant pas comment le stopper, les autorités délèguent alors à Denzel le soin d’aller proposer directement à Russell, un formidable contrat pour un rôle de gladiateur romain dans le prochain péplum de Ridley Scott, ainsi que la garantie de jouer à nouveau ensemble dans un film autrement plus sérieux, American Gangster.

Russell Crowe accepte avec joie et épargne donc la petite Kaley Cuoco qui fera plus tard les belles heures de la sitcom pour geeks, The Big Bang Theory.

Basé sur un scénario famélique, bourré de raccourcis et de fautes de goûts, Programmé pour tuer (titre français comme souvent particulièrement vendeur) se présente un peu comme l’ancêtre des purges de Paul W.S. Anderson. On y trouve le même vide narratif, le même goût pour la SF kitschouille, les mêmes pétarades débiles et inutiles (les acrobaties jovovitchiennes en moins) et surtout la même subtilité pachydermique, avec cependant un peu moins de peps dans le montage, époque oblige.

Réalisé par Brett Leonard, trois ans après son formidable navet Le Cobaye (où l’on trouvait déjà la même fascination de Leonard pour la réalité virtuelle surpixelisée ainsi qu’un Jeff Fahey honteusement ignoré par l’académie des Oscars pour son rôle de tondeur de pelouse), Virtuosity semblait à sa sortie déjà aussi périmé qu’un vieux camembert oublié au fond du frigo.

La direction artistique était aux fraises, les SFX à vomir, la réalisation aussi plate que de l’eau Volvic et la fin, dénuée du moindre climax.

Bref, tout y était déjà à jeter.

Le temps n’ayant bien sûr pas arrangé les choses, il est très probable que Denzel le considère désormais comme son film le plus honteux.

Il ne serait d’ailleurs pas surprenant qu’il l’ait carrément oublié.

Il faut dire qu’il s’agissait là de la première incursion de l’acteur dans le genre de la SF (avant les plus sympathiques Déjà vu et Le Livre d’Eli), très loin des rôles à Oscars dont il s’est souvent fait la spécialité.

Face à lui, le méconnu Russell Crowe en faisait des caisses en vilain androïde psychopathe, amateur de blazers flashy et de verre pilé. Rien ne semblait ici prédestiner l’acteur néo-zélandais à voir sa carrière décoller en incarnant les gladiateurs charismatiques cinq ans plus tard.

Programmé pour tuer reste pourtant curieux à revoir, ne serait-ce que parce qu’il en transpire la vision maladroite de son réalisateur. Déjà à côté de la plaque avec son Cobaye, Brett Leonard s’évertuait à nouveau à privilégier la forme au fond, sans même imaginer que ses images virtuelles prendraient très vite un gros coup de vieux. Un peu comme si le réalisateur semblait vouloir à tout prix imposer une esthétique futuriste ringarde, au détriment du bon sens. En cela, certains des éléments narratifs de son film, bien que maladroitement mis en scène, semblaient préfigurer ceux de Matrix des Wachowski (l’intro dans le simulateur, le SWAT canardant Denzel dans le hall d’un immeuble de bureaux, la méchante IA aspirant à la liberté).

Pour autant, on reste très loin de la virtuosité du premier Matrix et à des années-lumière de la vision noire et postmoderniste d’un Strange Days, pourtant sorti la même année.

En l’état, Programmé pour tuer ressemble plutôt à un Demolition Man du pauvre, dénué du moindre trait d’humour et bandant toujours en demi-molle.

C’est nul et ça semble parfois presque s’excuser de l’être. Un peu comme un Batman avec George Clooney. Sauf qu’ici, tout le monde s’en fichait.

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le 3 mai 2023

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Buddy_Noone

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