Un film environnemental raté pour un portrait de personnage réussi

Considérant Gus Van Sant comme un auteur-poseur horriblement surestimé, chouchou à bobos en quête de sens de la vie et d'artistes torturés pour le leur expliquer, votre serviteur n'aurait sans doute jamais accordé de chance à Promised Land sans le récent visionnage du très joli Restless, seul vrai bon film de Van Sant depuis Will Hunting (et autrement plus intéressant que le masturbatoire Elephant).


Résultat ? Une modérément bonne surprise pour un résultat plus objectivement mitigé. Promised Land n'a rien d'un magnum opus. De prime abord, nous avons à faire à de l'environnemental hollywoodien typique, interprété par des "liberals" qui n'en sont pas à leur premier engagement (Matt Damon est connu pour cela). Son message n'a rien d'original (l'importance pour le local de résister à la domination des multinationales), ni sa démonstration, qui manque de subtilité (avec son personnage principal, présenté au début comme bien trop malin pour ne pas avoir pigé les deux, trois choses essentielles qu'il "découvrira" par la suite). Tout a été vu en mieux fichu et plus nuancé par le passé, dans des films comme Erin Brokovich, Silkwood, Le Syndrôme Chinois, ou même dans la saison 2 de la série Damages, qui pointait son doigt accusateur sur l'infâme Monsanto. Son anticorporatisme s'exprimait de façon plus convaincante dans des films comme Rollerball, pourtant un film de genre avant tout.


Mais c'est justement ça, le truc : Promised Land n'est pas vraiment une charge. Généralement, face à ce genre d'exercice, le spectateur avisé doit s'efforcer de dissocier le fantasme écolo de l'étude sérieuse, se méfier des chiffres. Ici, point de chiffre. Van Sant ne semble pas vraiment s'intéresser au sujet, qu'il filme sans style, et sans énergie réelle. A la fin, le néophyte n'est pas plus renseigné sur le sujet que deux heures plus tôt.


Alors soit Promised Land est un film loupé, soit son intérêt est ailleurs. Et il est ailleurs - c'est ça, la "modérément agréable surprise". Il est dans le portrait mélancolique du héros, et dans le fait que d'entrée de jeu, ce personnage n'est PAS un cynique. Nous n'avons pas à faire à la transformation éclaire, face aux réalités du terrain, d'un commercial corporatiste sniper d'élite corrompu en baba-cool ami des bêtes. C'est un écolo, d'entrée de jeu, simplement à sa façon : il croit réellement pouvoir faire le bien en utilisant les moyens de son entreprise, dans un élan simplement un peu optimiste/fataliste (= elles sont là et elles sont trop puissantes pour que vous les viriez, mais avec un peu d'efforts, il est possible d'en tirer quelque chose de positif). Et c'est là que le film devient assez intéressant : là où l'on s'attendait à une présentation de la multinationale comme consubstantiellement plus nocive que profitable à l'humanité (ce qui est fort possible au demeurant), Promised Land garde un minimum de neutralité. Ce qui lui laisse le champ libre pour s'attendrir sur son héros forcément super sympa (Matt Damon, forcément super sympa), dont on comprend le tiraillement entre la volonté de s'adapter avec lucidité au monde moderne, et l'irrésistible appel du large.


Bien sûr, à cet égard, le film verse fatalement dans la célébration un peu manichéenne du retour à la nature, au plancher des vaches, etc., par opposition à l'aliénation urbaine. Encore une fois, pour la subtilité, on repassera. Mais un esprit conscient des menaces qui pèsent actuellement sur notre monde a un devoir de magnanimité envers les films de ce type, dont on peut au moins reconnaître les honorables intentions... A fortiori quand ses efforts sont partagés par un casting impeccable, allant du vénérable Hal Holbrook à Frances McDormand (dans une version désabusé du personnage qu'elle jouait dans Almost Famous... si, si !), en passant par le méconnu Titus Welliver, qui brille dans un savoureux numéro de charme redneck.


Par ailleurs, Van Sant réserve un joli twist final au public, qui présente l'inconvénient d'accélérer artificiellement la conversion du héros, mais l'avantage de complexifier un matériau jusque là fort prévisible. Le spectateur boosté se rangera généralement dans un des deux camps suivants, celui qui accorde plus d'importance à l'avantage, ou celui qui se concentre plus sur l'inconvénient. Autant dire qu'ici, sans doute sous l'influence d'une humeur printanière, on s'est rangé dans le premier.

ScaarAlexander
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le 29 mai 2013

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