C’est, parait-il, un film sur le travail des invisibles et des tâcherons au service d’un ministre des affaires étrangères, énergique et en mouvement perpétuel, en charge de préparer un discours à prononcer devant le Conseil de sécurité de l’ONU à New York. Toute relation avec le ministère exercé par Dominique de Villepin et le refus de la France à s’engager aux côtés des États-Unis et de la Grande-Bretagne dans le conflit contre l’Irak n’est bien sûr absolument pas fortuite. Choix curieux et presque incongru de la part de Bertrand Tavernier d’avoir recours à la comédie pour décrypter les modes de fonctionnement du Quai d’Orsay. Car cette option bute sur deux écueils qui la plombent définitivement : d’une part, elle donne naissance à un long-métrage poussif et répétitif aux gags tellement réitérés qu’ils en deviennent lassants (les portes claquées, les feuilles qui volent, les citations fumeuse d’Héraclite, les petits sommes du conseiller) et d’autre part, elle désacralise tant la fonction politique qu’elle pose problème. S’il n’est pas question ici de minimiser la dimension de grandiloquence et de flamboyance doublée au courage qu’il nécessitait du fameux discours de l’ONU, on reste néanmoins perplexes que sa gestation et son accouchement aient pu mobiliser tant d’énergie, sinon de talent.

Pour travailler sur le langage (et ses éléments), le ministre embauche Arthur, un gentil gauchiste aux compétences indiscutables. Hélas le comédien Raphaël Personnaz n’incarne jamais la flamme qui est censée le porter et le consumer sans interruption. Pire encore, Thierry Lhermitte passe complètement à côté de la nature supposée d’un politique, enfilant les formules creuses et des propos de café du commerce. Dès lors, on peine à saisir où se situe l’ambition du réalisateur de L627 : s’éloigner du réel pour le transformer en farce tragicomique, traiter du sujet sans trop y croire, avec une moquerie niaise plutôt qu’une férocité jubilatoire, mettre l’accent sur la vacuité – et donc l’inutilité – d’un personnel assujetti aux caprices et aux sautes d’humeur d’un prince qui paraît brasser du vent. Paradoxalement, le personnage le plus palpitant n’est ni l’usant ministre ni sa plume inoffensive, mais bel et bien Claude Maupas (interprété par l’impeccable Niels Arestrup qui survole largement tous les autres) qui voit passer les ministres et résout dans l’ombre et la modestie les problèmes du monde. Quai d’Orsay n’atteint jamais ni le souffle ni l’intelligence de L’Exercice de l’État (2011) de Pierre Schoeller, notamment par la faiblesse, voire l’indigence, d’un scénario qui ne sort jamais des caricatures réductrices et d’une lecture extrêmement simpliste. Autrement dit, ce qui s’annonçait comme la première comédie de Bertrand Tavernier est proche du ratage total, un pas de côté qui fait entrevoir la catastrophe.
PatrickBraganti
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le 7 nov. 2013

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