L'austérité du conte de Nietzchka Keene (adapté des frères Grimm) se retrouve aussi bien dans la narration, extrêmement sporadique, dans les paysages, à travers un environnement insulaire épuré, dans la photographie, avec ce noir et blanc qui peut aussi être perçu comme la recherche d'une atemporalité, et bien sûr dans le contenu, avec ce récit minimal situé dans le Moyen Âge islandais et cousu autour d'histoires ayant trait à la sorcellerie. La dimension cruelle du conte est apparente en toute première instance, avec l'image macabre d'un corps flottant dans une petite marre, les mains liées dans le dos, tandis que le personnage de Björk et sa grande sœur s'enfuient après le procès en sorcellerie (suivi du bûcher de rigueur) de leur mère. Mais elle se trouvera sans cesse contre-balancée par une autre dimension, mystérieuse et poétique, dans les récits enfantins que l'enfant chante à voix basse tout au long du film, sur les pentes enherbées de ce bout d'Islande.


La beauté insulaire a beau ne pas être aussi frappante que chez Kaneto Shindō (L'Île nue) ou chez Ingmar Bergman (l'intermède médian sur l'île d'Orno dans Monika), il se dégage tout de même quelque chose de particulier de ces contrées montagneuses, à la croisée de l'univers médiéval et du référentiel nordique. Quand nous étions sorcières adopte la simplicité de la fable, sans toutefois être efficace en toutes circonstances, principalement à cause de quelques longueurs (les contes et formules magiques, précisément) et quelques passages à l'emphase un peu trop appuyée. La Source, pour rester chez Bergman et dans la thématique du conte nordique, peut dormir tranquille. La rencontre entre les deux sœurs et Jóhann, un paysan veuf accompagné de son fils Jónas, fera toutefois l'objet d'une description très attrayante, toujours austère, point de départ d'une ambiance mystérieuse tout en retrait, dans laquelle les rituels magiques et les apparitions morbides se manifestent aussi régulièrement que discrètement. La confrontation entre la grande sœur et Jónas, suspicieux et inquiet après qu'elle a séduit son père, diffusera une menace surprenante au bord d'une falaise.


Le symbolisme fantastique du film l'emporte cependant sur ses faiblesses, si tant est qu'on soit en mesure de dépasser son aridité et son ésotérisme certains. C'est dans une lenteur revendiquée qu'on évolue, de la poésie apaisante à la cruauté émancipatrice, entrecoupées de murmures tendrement menaçants.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Quand-nous-etions-sorcieres-de-Nietzchka-Keene-1990

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le 19 avr. 2020

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Morrinson

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