Je me souviens...
C'était pendant le long hiver...
Avec le groupe de chasseurs du Clan des Hommes, nous étions partis pour une longue traque. Elle n'avait pas bien commencé. La harde de rennes sur laquelle nous avions déjà fait de lourds prélèvements nous avait repéré et avait fui.
Nous avions fini par trouver un groupe d'aurochs. Souvent traqués par la horde des loups, ils étaient sur leurs gardes et avaient fui avant que nous n'ayons pu les approcher. Peu importe, ils étaient lourds et fatiguaient plus vite que nous. Nous avions réussi à isoler un vieux mâle que la troupe ne défendait pas.
Après plusieurs jours à courir dans la steppe, nous rentrions au camp. Nous sentions déjà l'odeur du feu, quand Chef s'arrêta. "C'est une odeur de feu mort." Nous comprîmes tous instantanément qu'il était arrivé un malheur. Malgré le fardeau de viande que chacun portait, nous courûmes de plus belle.


Le feu était dispersé. Tout autour, les cadavres des anciens étaient épars. Je flairai une merde: "Ce sont les Autres!"
Pendant que la plupart hurlaient et se lamentaient, quelques-uns examinaient les dégâts.
"Ils ont volé les femmes", dit Chef.
"Ils ont mangé la cervelle, le coeur et le foie de Vénérable", dit Loup.
"Ils ont mangé le fils de Pleine Lune", dit Auroch.
"Ils ont pris les plus belles peaux de huttes et ont incendié le reste", dit Lièvre.
"Enterrons nos morts", proposais-je.
"Nous n'avons pas le temps", dit Chef. "Ils ont deux jours d'avance sur nous. Portons-les à la porte du monde des morts, puis mangeons, dormons et demain matin, nous nous lancerons à leur poursuite".
Ainsi fut fait. Les morts furent trainés vers cette faille dans la falaise qui ouvrait sur le royaume des morts. La nuit tombait et les âmes des morts commençaient à sortir de la caverne pour envahir le monde des vivants de leur vol hésitant. Les cadavres furent déposés là. Chef prononça les incantations qui revenaient normalement à Vénérable, puis nous retournâmes nous préparer pour le lendemain.


A l'aube, chaque homme et chaque femme (les meilleures coureuses chassaient avec les hommes), munis de plusieurs javelots, d'un couteau, d'une gourde et d'un morceau de viande, se lança sur la trace des Autres. Ils avaient maintenant deux jours et demi d'avance sur nous, mais nous étions surs de les rattraper rapidement.
Nous étions comme le vent sur la steppe. Nous pouvions courir du matin jusqu'au soir. Si nous avions à boire et à manger, nous étions rapides et ne fatiguions pas. Les Autres étaient forts comme les dormeurs des cavernes, mais ils étaient lourds, lents et fatiguaient plus vite. De plus, ils étaient ralentis par la surveillance des prisonnières et de leurs enfants et par le poids des peaux qu'ils avaient volé.


Le soleil était encore au zénith lorsque nous trouvâmes leur premier bivouac. Les cendres étaient froides. Dedans, il y avait les restes d'un enfant dévoré que nous ne pûmes identifier. Nous reprîmes notre course. La nuit était tombée lorsque nous atteignîmes leur deuxième bivouac. Les cendres étaient encore chaudes. Un autre enfant avait été mangé. Nous rallumâmes le feu, bûmes, mangeâmes, organisâmes un tour de garde et dormîmes.


Le matin tous étaient excités. Nous savions que nous les rattraperions avant la nuit. Chef nous calma. Il décida d'envoyer deux éclaireurs, les plus discrets des pisteurs, pour nous prévenir avant que les Autres ne nous voient arriver. Il fallait les surprendre.
Nous reprîmes notre course, moins vite, en faisant attention de rester hors de vue d'un éventuel guetteur situé en hauteur devant nous. Dans la deuxième partie de la journée, nous vîmes venir à nous l'un des pisteurs qui nous annonça que les Autres étaient proches et que l'autre pisteur était derrière eux. Chef décida qu'on attendrait qu'ils se soient installés pour leur bivouac et qu'on aviserait.


Lorsqu'on grimpait dans un arbre, on pouvait maintenant voir les Autres progresser lentement. Ils cherchaient un emplacement pour le bivouac.
Un banc de roches qui leur fournissait un abri contre le vent fut choisi. Ils s'installèrent autour d'un feu, égorgèrent un enfant et sortirent les restes d'un mouflon, mangèrent. Un colosse velu qui devait être le chef se mit alors à baiser Petite Lune. Je me précipitai vers Auroch pour le calmer. Je connaissais sa tendance à voir rouge et à foncer. Chef calmait les jeunes qui s'impatientaient. Il exposa son plan. Il sélectionna les cinq meilleurs lanceurs de sagaies. Trois devaient s'avancer frontalement en se cachant dans les buissons en contrebas du bivouac et attendraient que le combat commence pour lancer leurs sagaies en visant les guerriers ennemis. Deux autres feraient le tour et monteraient le plus silencieusement possible sur le banc de roches et se tiendraient prudemment en retrait en attendant le début du combat pour intervenir du haut. Le gros de la troupe serait divisé en deux. Il prendrait le commandement de celui qui se glisserait par la gauche sur le balcon en pied de falaise. Il me confia le groupe qui devait passer par la droite.


Après que les lanceurs de sagaies se soient positionnés, nos deux groupes s'avancèrent en silence le long de la falaise. J'apercevais déjà les Autres. Un deuxième guerrier avait entrepris de baiser Bibiche. Derrière moi, je sentais les plus jeunes qui s'impatientaient, quand tout-à-coup, un Autre flaira notre présence. J'attaquai. De l'autre côté, Chef fit pareil.
Ce fut un carnage. Avec nos épieux, nous clouions au sol les guerriers qui tentaient de se lever. Avec nos massues, nous leur cassions la tête. Les lanceurs de sagaies faisaient un massacre avec ceux qui avaient réussi à se lever. Puis avec de gros cailloux ramassés autour du feu, nous nous assurâmes qu'ils ne se relèveraient pas en leur fracassant le crâne.


Ils avaient une louve avec ses petits avec eux. La louve nous menaçait nous la tuâmes, mais je me rappelai que le clan avait eu des loups autrefois. Ils nous avaient rendu de grands services. Malheureusement on avait dû les manger lors d'une période de disette. Aujourd'hui nous avions de la viande à profusion et des prisonnières allaitantes. Je pris donc les louveteaux pour les élever.


Ce soir-là fut une fête. Nous dévorâmes les plus costauds de leurs guerriers pour acquérir leur force et nous sautâmes leurs femelles. Elles ne nous attiraient pas beaucoup, mais c'était une question d'affirmer notre domination. Elles seraient dorénavant nos esclaves, aideraient nos femmes à transporter l'eau, nous accompagneraient à la chasse. Leur lenteur ne leur permettrait pas de participer, mais leur force serait précieuse pour porter le gibier au retour... et puis quand on est loin du camp et qu'il nous prend une petite envie...


C'est ainsi que j'ai tué Néandertal, que naquirent de jeunes métisses, et que vous portez désormais quelques-uns de ses gènes.
Mais plus tard des intellectuels comme Yves Coppens ont transformé le mythe du bon sauvage en dogme des bisounours.
Même si ce documentaire a le mérite d'explorer différentes hypothèses à propos de la disparition de Néandertal, il finit quand même par retomber dans la doxa imposée par quelques mandarins de la paléoanthropologie.


Je ne nie pas que Cro-Magnon ait éprouvé des sentiments probablement très proches des nôtres. Je ne nie pas non-plus qu'il ait fait du commerce, qu'il ait pratiqué le troc des peaux, des outils, des amulettes, de la nourriture, des femmes et des enfants, mais il vivait dans un environnement très dur où nous serions incapables de survivre. Ses choix n'étaient certainement pas dictés par l'amour du prochain, par le sentiment d'équité ou de justice sociale; ses choix étaient surement dictés par son instinct de survie.

-Marc-
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le 26 oct. 2019

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-Marc-

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