L’Inde est le premier producteur de films au monde, avec près d’un millier de films tournés par an. Pourtant, bien peu s’exportent jusqu’à nous.

Quick Gun Murugun a eu pourtant cet honneur, pour ce qui est annoncé comme un western au pays des vaches sacrées. Et pas du genre à tirer la tronche.

Le personnage naît en 1994 comme mascotte pour les spots télés de la chaîne musicale Channel V. Près de 15 ans après, signe évident de sa popularité, il a droit à son propre film.

Il faut bien reconnaître qu’il en impose avec sa tenue improbable et colorée, avec sa veste en imitation de peau de léopard, sa chemise soyeuse verte ou son foulard rose. Avec la petite moustache et le petit ventre, Murugun détonne. Mais gare à qui voudrait enquiquiner le cowboy végétarien, placide mais fine gâchette.

En 1982, dans l’Inde du Sud, sa route va croiser celle d’Assiette de riz sanglante, chef de gang de carnassiers qui veulent imposer leur régime alimentaire par la force. La rencontre ne va pas bien se dérouler pour le cowboy coloré, tué dans l’affrontement. Au Paradis, il plaide pour revenir à la vie et contrer les plans de son ennemi. L’administration étant ce qu’elle est, y compris aux Cieux, il revient 25 ans après, dans la grande ville de Mumbai.

Assiette de riz sanglante a entre-temps perdu des cheveux, mais est encore plus redoutable, car il est devenu un homme d’affaires peu scrupuleux, qui veut imposer sa chaîne de junk food, McDosa, avec ses dosas (des crêpes indiennes) chimiques et carnivores. Murugun, un peu décontenancé, retrouve malgré tout son frère et sa belle-sœur, restauratrice de plats à livrer, tandis que la belle et troublante Mango Dolly ne le laisse pas indifférent.

Le végétarisme est un grand sujet en Inde, le pays comptant la plus grande proportion de végétariens dans sa population, principalement pour des raisons religieuses et culturelles. Que l’antagoniste principal du film soit un promoteur de la viande amuse d’autant plus de ce côté du globe. Pour autant, le film n’a rien d’un pamphlet, et même s’il évoque ce genre de régime alimentaire ou le goût des plats traditionnels, il relève plus de la farce (et pas de viande).

N’hésitant pas à adopter des chemins de traverse, le métrage zigzague entre différents genres, entre différentes folies, avec un second degré amusant, mais qui pourra aussi tourner à vide à d’autres moments.

Sa reprise de l’Inde des années 1980 avec un cachet western est d’ailleurs assez réussie, la plupart des clichés y passent, avec les chevaux, les affrontements aux pistolets et les petites gargotes où se réunissent les pires spécimens les moins bien rasés et aux habits sales. L’arrivée dans le monde moderne n’aura plus le même intérêt visuel, et d’ailleurs le film accuse un sérieux coup de mou le temps que Murugun reprenne ses esprits. Le film quitte le cadre du western pour une aventure plus moderne, assurément urbaine, avec quelques accents proches des films d’espionnage à la James Bond, avec Assiette de riz sanglante comme grand méchant machiavélique.

Bien sûr, d’un bout à l’autre du film, Murugun est là, et il détonne. Faisant sien le proverbe comme quoi il ne faut pas juger un livre à sa couverture, il arrivera toujours à se défaire des pires problèmes, y compris la mort, notamment en faisant parler la poudre. Avec toute l’exubérance qu’on peut attendre du cinéma indien, les balles filent au ralenti, ricochent pour arriver à leur cible, le plus souvent dans la tête, une vraie obsession. Plus rapide que Lucky Luke, les mains se démultiplient, les revolvers aussi, sans aucune once de réalisme. Un des duels du film se fera dans une grande rue, sauce Western, mais, monde moderne oblige, sur les toits de voitures coincées dans un embouteillage. Un affrontement sur un quai de gare sera une hécatombe. Malgré ses couleurs vives et pétantes, presqu’innocentes, le film a la main lourde sur le compteur de morts et ne s’en émeut pas.

Si Murugun, joué par Rajendra Prasad, parcourt le film d’un certain flegme, il a aussi en lui quelques blessures intimes dont le film va s’amuser ou rapidement délaisser. Il garde le souvenir de sa promise, assassinée, dont le fantôme lui parle depuis sa médaillon. Mais loin de l’encourager à suivre son « devoir » de cowboy, sa vocation première, elle préférerait qu’il aille se tuer à la tâche dans un petit boulot et ne manque pas de le rabaisser. Sa rencontre avec Mango Dolly (ravissante Rambha) n’a rien de bien romantique, le personnage étant un peu trop cavalier pour lui, presque vulgaire. Comme d’autres personnages, Assiette de riz sanglante, interprété par Nassar, cabotine, surjoue, dans un excès qui n’est pas vraiment dérangeant, puisque raccord avec le film.

Quick Gun Murugun se laisse même aller à quelques moments plus bollywoodiens, plus musicaux, mais toujours avec son second degré habituel. Ces quelques passages sont courts, mais assument leur kitsch, avec les chansons couvertes par un filtre sonore, comme si elles sortaient d’une vieille enceinte de sono. Le reste de la bande-son, plus classique, est d’ailleurs assez bonne, singeant les grands morceaux typiques des westerns.

Quick Gun Murugun est donc ce film un peu foufou, dans son exubérance visuelle et dans ses personnages, mais qui se perd aussi dans ses digressions ou qui abandonne bien vite certaines de ses séquences clés. Shashanka Ghosh offre un métrage surprenant, qu’il met en scène avec le plus grand sérieux dans sa folie, avec des plans bien cadrés, un montage épicé et une photographie colorée et marquante. Murugun vise et tire, avec cette folie caractéristique d'un cinéma exotique mais charmant.

SimplySmackkk
7
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le 12 août 2022

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SimplySmackkk

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