Rabia
6.6
Rabia

Film de Mareike Engelhardt (2024)

C'est tout ce qu'il me reste d'elle...

Insatisfaites de leur vie en France, Jessica et son amie Laïla partent en Syrie rejoindre Daech.

Elles ont 19 ans et sont persuadées qu'elles vont épouser un beau combattant rencontré via Internet qui les assure de son amour et lui donner de beaux enfants. Dès l'arrivée, immédiatement ensevelies sous une burqa, dépouillées de tous leurs effets personnels, de leur téléphone mais aussi de leur nom, elles se réunissent néanmoins joyeusement dans différents étages (selon leur nationalité) d'un vaste établissement qui accueillent les futures épouses. Malgré la brutalité du traitement, elles croient encore à l'amour promis et attendent fébrilement LA rencontre. Qu'on les pare de lingerie affriolante (digne d'un porno) qu'elles devront dissimuler sous leur toile ne les incite pas plus à la méfiance. Elles sont là pour séduire... et trouver le bonheur.

La maison des futures épouses est tenue par Madame (immense Lubna Azabal) dont la première apparition spectrale, de nuit dans le dortoir des filles est digne de celle d'un fantôme, de Belphegor. D'une voix tonitruante, lors des séances de prières, elle invoque Dieu et l'allégeance que toutes leur doivent. Sa voix et son attitude se font douces et caressantes lorsqu'elle reçoit Jessica en privé. Elle sent bien chez cette jeune fille différente la révolte prête à gronder. Elle n'a pas tort sur un point, cette jeune fille est différente et son embrigadement se fera à coup de tortures physiques (insoutenables) et mentales. On lui coupe ses longs cheveux blonds, on la bat, on l'enferme seule dans une pièce sans lumière... Et Madame alternera toujours son emprise entre autorité et tendresse.

Ce film coup de poing est un choc sans pareil. On le vit en apnée, terrifié par le sort de ces filles qui se font maltraiter, violer, humilier. Celui des enfants qui naissent est lui aussi effroyable et cauchemardesque. Elevés en batterie dans des pièces sans fenêtre, avec pour seuls jouets des armes en plastique, ils ont pour seule distraction une télé allumée sur des programmes de propagande, de tueries, de guerres. On est saisi d'effroi devant ce spectacle dont on sort triste, accablé, anéanti. Sans mot.

Hélas, malgré le caractère fictionnel du film, il se base sur la réalité sur laquelle la réalisatrice s'est longuement documentée en rencontrant des filles qui ont réussi à se sortir de l'enfer de Raqqa. Au bout de huit années nécessaires à l'aboutissement de son projet, elle nous crache littéralement ce film au visage et nous le balance dans l'estomac. On le reçoit comme un choc. Et toutes les questions que l'on se pose sur ce qui pousse des jeunes filles à tout quitter pour rejoindre un système sectaire, violent qui neutralise leur personnalité, leur volonté, leur intelligence restent sans réponse.

La réalisation de Mareike Engelhardt, douce jeune femme blonde allemande au français plus que parfait, assistante réalisatrice chez Polanski, Schlöndorff ou Quilleveré, est précise et ne tombe jamais dans les débordements, le voyeurisme ou une violence inutile. La maison où évolue son intrigue, que l'on quitte peu, suffit à nous convaincre de l'asservissement, l'absence de liberté à la limite de l'esclavage auxquels les filles sont soumises. Sur une terrasse sur le toit, seul endroit lumineux, on aperçoit la ville au loin et le désert.

Il ne s'agit pas ici de dénoncer l'Islam en tant que religion mais bien l'utilisation et le détournement qu'en font ses plus hypocrites, radicalisés et extrêmistes adeptes, martyres volontaires au nom de Dieu.

Meghan Northam et Lubna Azabal, engagées corps et âmes dans leurs rôles complexes, ambigus parfois, sont exceptionnelles.

Je ne suis pas sûre de pouvoir (émotionnellement) revoir ce film terrible mais je vous le remettrai en mémoire au moment de sa sortie.

LaRouteDuCinema
8
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Créée

le 12 oct. 2024

Critique lue 1.1K fois

5 j'aime

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