Je vous explique la médiocrité du film par la bande-annonce VF d'une minute 50.

Donc, les premières secondes, on a l'assimilation des super voitures de rallye à des Ferrari, et le biais est légitime avec la 037. Si vous voyez de nos jours, une image d'une Lancia Stratos, vous allez penser que c'était une voiture pour les circuits. Non, c'était une voiture de rallye qui a ramené trois titres de champion du monde des constructeurs consécutifs de 1974 à 1976. Et dans la décennie des années 1970, on a droit à la présence de nombreuses Porsche 911 qui équipées du turbo s'appelleront des 930 au début des années 80, mais seront alors sur le déclin. La Lancia 037 est la sorte de Ferrari que sort Lancia en rallye au début des années 80, et on aura un peu plus tard une autre voiture esthétique, la Ford RS 200 (qui aurait dû être une Sierra Cosworth, mais qui sera une sorte de Porsche fordienne au plan esthétique). OK, les premières images, ça accroche en esthétique et en symbolique, si ce n'est que la voiture est sur... un circuit ! Pour donner l'idée d'une Ferrari de la route, j'ai déjà vu mieux, j'ai déjà vu plus avisé dans la mise en scène. Il y a une banalisation outrancière du circuit sur la prestation de la voiture qui déjà fait tache, banalisation aggravée par des images gros plans très clichés de films de courses de voitures, inserts qui n'ont aucun sens du rythme visuel. Et je ne vous parle pas de la pitoyable police d'écriture du titre de film en petit en haut d'écran "Race for glory" (ni des couleurs rouge blanc bleu pas très italiennes...).

Evidemment, la magie des groupes B, ce n'est pas que l'esthétique soit le style Ferrari des 037 et Stratos, soit les enjoliveurs, les bequets arrière (Renault 5 turbo, Austin metro MG 6r4, Peugeot 205 turobo 16), c'est aussi tout un lot d'inventions techniques. Et ça on va en reparler plus loin dans l'analyse de cette bande-annonce.

Puis on passe à une scène de dialogue avec une femme brune aux cheveux longs qui interroge un homme sur les dangers du sport automobile : "Le rallye est un sport dangereux, il y a des choses qui vous font peur ?"

Heu ? Comment dire ? Le film est complètement à contre-courant de l'histoire réelle du rallye. En effet, en 1981, Michèle Mouton a gagné un rallye du championnat du monde sur Audi Quattro, elle a eu d'autres victoires en 82 et a fini vice-championne du monde, et elle aurait eu le titre en Côte d'Ivoire sans abandon tardif sur casse mécanique. En 83 et en 84, elle va être plus effacée, début 83 elle participe à plusieurs rallyes, mais ça se passe mal pour Audi et elle partage cette poisse. De toute façon, en 85, elle va gagner le Pikes Peak aux USA en pulvérisant le record et en 86 elle va être championne d'Allemagne sur Peugeot 205 turobo 16. Ari Vatanen et Walter Rohrl ont dit qu'ils n'acceptaient pas d'être battu par une femme à l'époque, et les réactions machistes américaines furent plus importantes encore lors du Pikes Peak. Et, il existe des images féminines un peu involontairement sensuelles de Michèle Mouton avec justement les longs cheveux bruns bouclés sur le côté.

Alors, question faute de mauvais goût, c'est la piste de décollage pour avion ce premier dialogue de la bande-annonce. Surtout que le film met en vedette Walter Rohrl qui réagisait mal à la menace de Mouton l'année d'avant.

Le film commence à la saison 83 donc avec la présence importante de Michèle Mouton. Le film nie l'histoire ! On entend en bande-annonce un début où Audi battrait Lancia à chaque épreuve. Quoi ? Lancia et Fiat cumule les titres : trois titres Stratos, trois titres Fiat Abarth, mais la 037 est une nouveauté, rodée en 1982, mais véritablement lancée en 83. Et au début de l'année 1983, ça n'a pas réussi à Audi et au contraire ce début d'année a permis à Lancia de commencer à pouvoir tirer son épingle du jeu.

La phrase : "Ils sont bons, ces allemands" fait sourire. Les pays qui brillent en rallye, ce sont la France et l'Italie pour l'essentiel du temps, avec un âge d'or du Japon dans la décennie 1990. Les voitures allemandes ne collectionnent pas les titres.

Alors, oui, il y a l'invention de la quatre roues motrices, d'où le nom de l'Audi Quattro et d'où l'intérêt du duel entre la Lancia 037 persévérant en deux roues motrices et la quatre roues motrices adaptées aux routes variées, de terre, enneigées, etc., les deux roues motrices ayant tout de même un avantage sur l'asphalte pur. La bande-annonce n'énonce pas ce fait précis, préférant parler de savoir-faire allemand. Or, si Audi a brillé de 81 à 84. Dès 1984, la Peugeot 205 turbo 16 en rodage est déjà meilleure, et les Audi deviennent ingérables face aussi aux Lancia Delta S4, voire Ford RS 200, sinon Austin Metro MG 6r4. Et il y avait d'autres avancées techniques. D'ailleurs, Porsche une marque allemande ("ils sont forts ces allemands" nous dit la bande-annonce) assurait le spectacle pour le passage des virages, mais en persévérant dans une technique dépassée du moteur placé à l'arrière. On a quand même le turbo qui arrive en Formule 1 et en rallye grâce à Renault, on a le moteur placé au centre de la voiture avec la Peugeot 205 turbo 16 et la Lancia Delta S4 ne sera pas en reste pour les apports technologiques (nota bene : après la mort du groupe B, quatre, cinq ou six titres consécutifs en rallye pour la Lancia Delta groupe A).

C'est l'ensemble des innovations technologiques avec leur danger non régulé qui fait la magie du rallye dans les années 80, avec du coup l'engouement du public qui nous vaut aussi cet étrange sensation de rodéo des foules au bord des spéciales. Ne pas penser à ça, ça fait faire fatalement un mauvais film sur un duel d'anthologie qui appartient à un contexte historique.

Après, l'idée de centrer l'intérêt sur les directeurs sportifs en vaut la peine pour l'année 1983. Il y a eu les magouilles : engagement d'un max de voitures Lancia sur asphalte pour laisser le moins de points aux Audi officielles, demander l'exclusion de Mikkola pour inscription de dernière minute, sel déposé sur la route, puis plus noble le remplacement des pneus en pleine spéciale. En 1986, pour faire perdre Peugeot, au San remo, Lancia a essayé de les faire disqualifier au prétexte de gadgets non conformes, les Peugeot furent exclus du rallye San Remo, mais sur appel le rallye fut retiré du classement du championnat du monde.

Bref, tout me fait sursauter de malaise à l'écoute de cette bande-annonce pour américains qui vont transformer leurs films de course en rallyes européens (c'est un film franco-italo-britannique, mais en réalité dans leurs têtes ils sont du cinéma américain). Le rallye européen il a une âme, surtout l'époque des groupes B, tu ne fais pas un film américain parfumé rallye européen, tu fais directement l'âge d'or européen du rallye, tu vis le rallye, tu as un autre scénario que ça.

Je vous épargne les phrases de crâneur, des poncifs mille fois revues et au cinéma et dans les derniers et les plus minables des téléfilms. C'est devenu des timbres de voix, des tonalités de films pour faire passer l'ennui l'après-midi. C'est désagréable, mais ça te rappelle que tu t'ennuies et donc tu supportes ton ennui philosophiquement.

Alors, on voit du rallye. La bande-annonce montre une scène à deux voitures au ralenti, sans doute une scène de dépassement, mais quand tu vas voir un film de rallye, surtout si tu es le public ciblé et surtout si tu es nostalgique des groupes B, tu veux voir ces espèces d'images ahurissantes de courbes de l'époque.

Pourquoi les gens ne vont plus voir de rallye aujourd'hui ? Ce n'est pas que parce qu'ils sont obligés d'être à 30 mètres des voitures, c'est aussi que les courbes effectuées par les voitures sont beaucoup moins spectaculaires bien que plus efficaces. La magie de l'époque du groupe B, c'est que la monté des capacités technologiques augmente la vitesse mais le spectacle n'est pas encore bradé. La magie à l'époque était de voir justement les Porsche avec le moteur à l'arrière qui chaissait du cul dans les voitures, de voir les deux roues motrices chasser du cul, de voir parfois de grosses Mercedes ou de grosses Volvo où dans les virages le coffre de la voiture passait en tête devant le capot. La magie des groupes B et du rallye, c'était de voir la façon qu'avait une voiture de serpenter dans des routes sinueuses.

Alors, il est vrai qu'avec la puissance du groupe B, les voitures fonçaient en ligne droite, freinaient à mort avec les virages, alors que le groupe A va développer plus subtilement le moindre freinage en virage et l'accélération avant la fin du virage en gros. Mais, la puissance, les à-coups, les bruits des moteurs, et la foule manifestant sa joie et frôlant les engins, tout ça c'est la magie du groupe B. Comportement assez irresponsable d'une époque, il vaut peut-être mieux risquer sa vie en saut du parachute que de se faire tuer avec femme et enfants en regardant un rallye de trop près, mais c'est aussi une époque où les sociétés étaient différentes de maintenant, moins fades, plus épiques, plus collectives aussi. Après, il y a deux façons de regarder le rallye, il y a ceux qui vont vouloir frôler l'engin qui file à toute allure et peut donner la mort en vous happant, il y a le frisson d'adrénaline du tout près, et puis il y a moyen de choisir des endroits éloignés et de voir la voiture assez longtemps exécuter une danse du bourdon dans tout un paysage avec une magie des courbes. On a des tonnes de vidéos d'extraits de rallyes des années groupe B. On compare avec ce qu'on nous montre en bande-annonce. Pardon, mais pardon ! Les gens qui vont voir un rallye historique avec de vieilles groupes B, ils sont déçus, parce que ça n'attaque guère, il n'y a pas le pilotage d'époque qui allait avec, ni la puissance exacte sous le capot. Dans ce film, ils ne vont pas payer pour voir la même chose sur écran. Ils vont voir un rallye historique, c'est gratuit, ils sont à l'air libre devant un paysage choisi et ils ont plus de plaisir à voir passer les voitures, bien que ça les frustre de ne pas en voir plus. Le film, là, un fan de rallye, il va être dégoûté.

Les scènes de la bande-annonce avec les querelles des staffs et directeurs sportifs, mais c'est les séries télévisées des années 1970. C'est poussif et caricatural. On paie encore des genres à faire éternellement ces prises !?

Ce film mérite-t-il d'être vu ? Mon cœur en doute fort !


**


Je reviens sur le sujet.

Loin de moi l'idée de m'intéresser au wokisme, à un féminisme un peu revanchard, etc., on peut faire un film avec du machisme et de la misogynie, ça reflète une époque, on peut mettre en avant une femme d'exception et souligner que ça reste rare. Moi, ce qui me dérange, c'est que le film est un schéma de représentations figées sur des rivalités masculines dans le sport automobile avec le petit candidat qui gagne contre le gros candidat. Tout ça, c'est faux.

L'Audi avait de gros problèmes de stabilité, elle casse souvent, à partir de 85 elle est dépassée par la concurrence. Lancia était une écurie de pointe en rallye : arrivé à faire gagner pour la dernière fois une deux roues motrices, il n'y avait que Lancia qui pouvait le faire. Et, à l'époque, Rohrl, Vatanen digèrent le titre de vice-championne du monde de Michèle Mouton Suzi Quattro. Quand je vois la bande-annonce du film, je vois une représentation hors du temps des courses automobiles, il n'y a pas la chair historique de ce qu'était l'année 1983.

C'est des clichés comportementaux américains plaqués sur un événement historique qui peut faire une belle histoire d'affrontement. Mais, un artiste du cinéma, il va être plus exigeant. Tu fais un film pareil, mais tu essaies d'avoir Sébastien Loeb ou un autre, et tu leur demandes de piloter à fond une ancienne groupe B pour au moins quelques séquences filmées.

Il y a un travail évident à faire sur la caméra embarquée. Je rappelle qu'à l'époque, dans un virage , une Audi Quattro chasse du cul dans un virage et renverse la caméra à l'épaule d'un spectateur ou plutôt journaliste.

Tu fais vivre ce rapprochement extrême des spectateurs et des voitures, avec le côté corrida, avec le côté voiture en plein vol au milieu d'une foule. Tu fais vivre le côté tout surgit en un instant question visibilité et pour le pilote et pour le spectateur.

L'ambiance d'époque, qui est perdue aujourd'hui, dans les courses automobiles, mais on avait, même pour des rallyes nationaux secondaires, des gens qui regardaient les voitures la nuit à une heure ou deux du matin, et pendant il y avait des endroits où un grand feu était allumé et où les gens se réunissaient. Les gens ne se mélangeaient pas, ils étaient inconnus les uns les autres. Ils se parlaient pour demander deux trois infos sur les passages, les arrêts temporaires des départs, se dire deux trois trucs sur un pilote, et puis chacun restait dans son groupe, mais il y avait une espèce d'effet collectif de la masse, une sorte de joie d'être là pour tous.

Il y avait ce côté populaire de gens qui ne se rendaient pas compte à quel point c'était dangereux. Il plantait leur chaise dans un endroit dangereux, il ne se passait rien, mais si la voiture sortait il n'avait pas anticipé s'ils avaient le réflexe ou non de se jeter sur le côté, de courir vite. C'est ça qu'il faut animer dans un film. Il faut savoir rendre la note vibrante d'une époque.

Il faut imaginer les gens qui arrivent sur une spéciale et qui disent : "vite, vite, la voiture va arriver", et comme elles défilent dans l'ordre du classement ou des numéros, tu pouvais arriver en retard pour le favori, tu le voyais passer de loin, ou tu l'avais seulement entendu, et tu arrivais pour voir le second, et tu te disais je ne manquerai le favori sur mon prochain déplacement prévu.

C'est ça le rallye et son engouement populaire dans les années 80. C'était le frisson chez toi et personne ne réfléchissait à la sécurité. Très peu. Il y avait des accidents, mais ils faisaient partie de la magie du frisson. Les humains étaient comme ça.

Quand les groupes B a été interdit en 1987, le public n'était pas content. Et sur les emplacements dangereux, il y avait du débat, parce que le public se massait le long des routes, et après 86 il y avait du débat entre les voitures de sécurité, les policiers, qui désignaient des endroits dangereux et d'autres non, et de l'autre des spectateurs qui faisaient entendre que la place désignée comme sûre par la police était justement plus dangereuse que celle choisie par le spectateur. C'est cette ambiance particulière du public qu'il faut faire revivre.

Dans les années 80, au départ, on a un employé bénévole qui lance le départ avec le chrono, qui tape de la main sur la voiture, et il est excité d'être là, même s'il ne verra du rallye que des départs. Et à côté, il y a une camionnette avec des postes radios qui grésillent. Un peu plus loin, il y a des stands improvisés où les voitures sont entretenues, réparées. Dans la nuit, il y a des interférences radios avec la cibi, etc.

C'est tout un monde à faire revivre.

Rien que sur le pilotage et sur ce qui fait la différence du rallye avec la course au circuit, il y a tout un travail de sensibilité artistique qui n'apparaît en rien dans la bande-annonce proposée, mais en rien.

Ce n'est pas normal que les gens acceptent passivement un mauvais film sur le rallye, surtout avec un sujet d'histoire, l'année 1983. "Ah je suis content, je suis entre benêts dans une salle de cinéma, je vois une Audi Quattro, une Lancia 037, je vois un film de rallye à l'américaine, les voix sont comme dans les séries télé, mais enfin j'ai un film sur le thème que je voulais, c'est normal que ce soit mauvais, ce n'est pas du grand cinéma, mais c'est du rallye, je suis content, je préfère voir un film de rallye à voir un bon film, messieurs les grincheux !" "Ouais, sublimez le souvenir du rallye dans un film, ça vous plairait encore plus, mais bon si vous trouvez confortable la médiocrité... On n'aura rien d'autre, ça c'est sûr !

davidson
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le 22 févr. 2024

Modifiée

le 22 févr. 2024

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davidson

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