Rambo
7.1
Rambo

Film de Ted Kotcheff (1982)

Voilà ce que l’Amérique a fait à ses marines, patriotes malgré eux (pour la plupart) revenus du vietnam, semble nous dire l’auteur du film Ted Kotcheff. Le pays a quelque peu méprisé ses gars, ces soldats traumatisés ou déjà morts sans le savoir...

Dès son arrivée en ville, Johnny Rambo, pas très beau, tenue en lambeaux, mal coiffé, hirsute, mal fringué et puant tel-un-bouc-non-castré, est considéré comme un clodo, un escroc, un crève-la-fin, un vaurien, un mec déshonorant la ville et tant qu’à faire, le pays. Il débarque comme un cheveu sur la soupe dans une bourgade de montagne un brin trop conservatrice (n’est-il pas ?), est une sorte de provocation subversive à lui seul, une mouche dans le lait, un emmerdeur. Mais c‘est surtout le shériff local qui fait chier Rambo, qui ne veut rien d’autre que bouffer un morceau. Le problème, c’est qu’il jure avec la peinture civilisée locale le beau Johnny, il y a un truc qui ne passe pas, d’autant plus qu’il fait la gueule le bougre, on dirait un enfant qui boude. Un enfant qui vient de perdre le dernier copain du vietnam qui lui restait. Et, depuis qu’il l’a appris à ses dépens, quelque chose s’est brisé en lui. Le seul lien de vie qui le rapprochait de la sphère civile, à savoir un ami, s’est cassé, rompu. Il n’est plus qu’une bête. Il vient d’être subitement ramené en arrière, dans la jungle vietnamienne moite, âpre, qui pue la mort.

Je ne pouvais m’empêcher de penser au « Délivrance » de Boorman pendant le film, et à cet antagonisme entre civilisation Vs sauvagerie. A chaque fois qu’on le touche, ce Serpico des bois réagit furtivement, comme un animal blessé ; complètement instinctif, bestial, il ne parle même plus. Ramené en taule et à ses vieux démons (tortures elliptiques en flash-backs ingénieusement hachés), il subit des humiliations et agressions physiques de la part des adjoints de la police, surtout venant d’un gros ours, un certain « Galt », véritable Baloo bourrin, béta et frustré qui veut tâter de la gâchette. Traumatisé psychologiquement par son séjour dans l’enfer vert vietnamien, son voyage au bout de l’enfer, un geste de trop fait réagir pour de bon l’animal qui quitte son zoo. D’où la battue organisée tant bien que mal dans la foulée.

Au début du film, le point de vue du flic est (symboliquement) celui de la ville et donc de la société qu’il est censé représenter. Il est dominateur. Ici « c’est lui qui fait la loi ».
L’une des bonnes idées de Kotcheff est d’avoir montré des plans larges dans lesquels on peut voire Rambo arrivant dans la ville toute puissante, sur le bord de la route, tout petit à côté d’énormes camions typiquement américains, puis de proposer des plans larges de la nature, c’est-à-dire de montrer le point de vue de la forêt, de l’absence de civilisation, de la bête, de Rambo. C’est à ce moment-là que le shériff trébuche littéralement, lorsque sa voiture de fonction se casse la gueule au fond d’une rivière. Le flic est alors toujours dans sa juridiction mais débarque en zone hostile, dans un no man’s land, une vraie galère vietnamienne en plein territoire US, un véritable piège à con. C’est le début d’une autre ère, l’ère de Tarzan – Rambo, qui construit des attrape-nigauds, des cabanes et des lances pour la chasse. Et il régresse le bonhomme, il devient un coureur des bois dégueulasse, puis carrément un homme des cavernes pouilleux - massacreur de rats quand il se retrouve malgré lui acculé dans une mine.

Les plans de cet homme, acharné de survie, armé d’une torche de fortune, avançant dans des galeries souterraines sont sublimes et suspendent un moment le temps dans lequel le personnage est censé être et évoluer. Le moment où Rambo se démène comme un diable contre les rats avec sa bougie de barbare peut renvoyer à une autre époque, ingrate, angoissante, du moyen-âge. Il finit par s’extirper de cette sombre situation lorsqu’il aperçoit la lumière, son échelle de Jacob providentielle, qui s’est imposée devant lui, sur son chemin, comme s’il allait être sauvé de son errance sauvage.

...Et puis il y a les flics qui poursuivent Rambo… de vrais mômes ces flics. De parfaits scouts (avec David Caruso en jeune coq roux), vraie bleusaille en patrouille, des blancs-becs gradés, des bleus dans la gadoue terrorisés, flippés, apprentis en uniforme. Dépucelés par cette chasse à courre à coups de couteaux dans le cul (encore plus fort que dans « Delivrance »).

J’avais mis 9/10 pour ce film. Et finalement, j’ai baissé ma note d’un point. La raison ? A mon sens, un véritable chef d’œuvre jusqu’à la moitié du film (jusqu’au magistral combat hélico Vs Rambo, suivi d’un épisode type « pièges en forêt trouble »). Juste après le cauchemar en forêt, le soleil se lève… c’est déjà un autre film, qui s’essouffle, perd en rythme, en intensité, qui plagie même (Et oui : Rambo dans son camion, c’est un copier – coller d’Indiana Jones, au geste prêt). Le réalisateur ne pouvait faire plus fort que cette première moitié parfaite, et à juste titre, puisqu’elle est vraiment savoureuse.
Errol 'Gardner

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9
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