Pour commencer, ceux qui n'ont pas vu le film, matez le et revenez ensuite. Vous pouvez le trouver ici:


https://www.youtube.com/watch?v=LCPoTABRtrc


Ce film attise ma curiosité depuis un petit moment. La bande-annonce, les références multiples à la pop-culture mais aussi aux films du réal lui-même annonçaiENt un regard intéressant venant de quelqu'un qui a déjà éprouvé l'usage de technique de pointe de diverses époques(Jurassik Park et l'usage du numérique pour les effets spéciaux, Tintin et la CGI etc). Etant moi même joueur occasionnel aux tendances cinéphiles, la communication entre ces différents médiums a bien fait vibrer la corde de mon envie. J'étais très curieux de voir comment Spielberg allait parler de réalité virtuelle et comment il allait utiliser ça en terme de mise en scène. La déception fut complète. Impossible de croire une seconde à un tel assemblage de clichés. Malgré quelques jolis petits moments visuellement, le film s'abandonne dans les pentes nauséeuses et réac de l'hommage et de la morale à deux francs. Je dirais que l'avantage du film est qu'il donne le bâton pour se faire battre en évoquant à quelques reprises des idées qui resteront potentialités et ne ferons que décevoir le spectateur. De nombreux éléments diégétiques, pas les plus planqués pourtant, sont discutables, et m'apparaissent comme de véritable erreurs dans l'écriture. Je m'explique.


Columbus, Ohio, 2045. Dans le futur des États-Unis d'Amérique, le paysage urbain ressemble à une sorte de décharge bordélique ou les mobile-homes s'empilent les uns sur les autres. La réalité virtuelle est devenue l'activité de loisir la plus répandue. Fuyant la misère d'une réalité sans saveur, la population en préfère une autre ou peut se réaliser les fantasmes les plus fifous. Peu importe que ceux-ci soient tangibles ou non, l'important c'est d'y croire, sans s'en apercevoir.


https://www.youtube.com/watch?v=yYikYDnlTrY&feature=youtu.be&t=56


Ce qui pourrait être le cadre d'une dystopie Black Mirroresque prend rapidement les allures du cool grace à ce personnage de Wade qui parcourt le paysage avec style sur Jump de Van Allen. L'exposition dure un sacré moment, et je ne suis pas très sensible à cette présentation quasi publicitaire de l'Oasis. Malgré cela, le contenu(vagues géantes notamment), la diversité de ceux-ci, la facture de l'animation et les mouvements de caméra sont de bon augure. Ensuite le glissement vers ce retour à la réalité laissait présager des problématiques intérressantes, une gamine enlève son casque et hurle(très convainquante) et un homme manque de se suicider après s'être fait tuer dans le jeu. La voix off nous offre alors la première tautologie du film:



Losing your shit means, well, losing your shit.



Et c'est par là que le film s'arrête. La découverte de l'avatar de Wade marque le début d'un enchainement d'hallucinations, de visions, de propositions aussi foireuses qu'invraisemblables. Je n'avait pas vu un film aussi mal écrit, aussi fourré de cliché depuis Inside Man de Spike Lee. Cet avatar, c'est vraiment le degré 0 de la création de personnage. Par curiosité, j'ai juste cherché "manga+male" dans google image, la majeure partie des résultats évoquent fortement Wade.


Steven, t'es tu frotté à quelques menus de création de perso? Ceux des Mass Effect, des Pillars of Eternity, un Elder Scrolls ou WOW? Il aurait pourtant suffit de passer un peu de temps dans un de ces menus, de discuter un peu avec des joueurs, de voir leur avatar pour comprendre à quels points les personnages proposés dans RPO et leurs avatars sont un mindfuck complet. De plus le film parle un peu de cette distance à travers le personnage de Aech qui prévient de la possibilité d'une surprise lors de la rencontre avec la version humaine d'Art3mis. Au final, Aech est le seul personnage a exploiter le potentiel virtuel pour créer une altérité radicale. Le reste des avatars sont des clichés virtuels qui prennent pour modèle l'humain auquel ils sont rattachés. Les deux persos asiats(qui font du kung-fu, merci Steven) sont deux samourais. Art3mis, fille rousse, est une fille aux cheveux rouges et aux grands yeux. Le vilain devient un gros vilain mafieux en costume. Et pourtant c'était bien là Steven qu'il y avait la possibilité de s'exprimer, d'avoir des idées, de créer des choses! C'est à travers ce potentiel de création de leur personnage, ce potentiel d'émancipation de son propre corps que se trouve des choses beaucoup plus intéressante qu'une mauvaise histoire de gentils et de méchants.


Et c'est bien là tout mon reproche au film, les dispositifs créés ont un potentiel génial, et au final très peu de bonnes idées émergent. Le film s'appuie tout le temps sur des références et autres apparitions qui selon moi ne suffisent pas, ne font pas matière. Il y a d'ailleurs une scène qui parle directement d'un certain rapport au sensible que je trouve vraiment problématique. Lors d'une des premières conversations entre Perzival et Art3mis dans le repaire d'Aech, les deux ne font que vérifier leurs références communes. Art3mis demande d'ailleurs si c'est un test, et continue de citer divers objets issues de la pop-culture. Cette scène correspond aussi au début d'un désir commun(coeur qui accélère d'un coté, regard appuyé, main dans les cheveux) de se revoir. Il suffirait donc de partager des références communes pour éprouver du plaisir, construire une relation? C'est peut être ce qu'espère Spielberg et vu les ruées de la critique cela a rudement bien marché. La madeleine est bien remuée, la poudre nostalgique a sans doute caché la pauvreté du tout. Je ne suis pas nostalgique. Je déteste ce rapport conquérant à la connaissance ou il faut reconnaitre des signes tous le temps, l'impression de me retrouver face à un examen de pop-culture. Pour moi la citation à outrance est un confort bourgeois et réac, du coté du "c'était mieux avant". C'est sur, c'est rassurant de citer des références communes, de créé une sorte de vase clos dans lequel on se sent bien, mais c'est aussi pas mal, et peut-être une peu plus risqué, un peu moins simple et un peu plus intéressant d'inventer, de créer des choses, vous ne croyez pas?


Il y a tout de même une bonne idée qui m'a surpris, seul moment de jeu avec les références, le moment ou Aech se retrouve dans l'Overlook de Shining. Quel plaisir de voir ces espaces de cinéma à nouveau à l'écran. Quelle bonne idée d'en faire un jeu et d'y mettre une personne ne connaissant pas l'univers. Le passage des jumelles et de la chambre restitue vraiment bien l'ambiance de Kubrick. Je me dis: enfin un passage qui ne se limite pas à la citation! Et c'est alors que la scène de la chambre avec la vieille femme se transforme en scène d'action. Le passage dans le labyrinthe continue d'en mettre plein l'écran, et de transformer Shining en un jeu d'action-horreur simpliste, gachant mon plaisir. Il y a ensuite la scène de bal transformée en scène de plate-forme. Kubrick était-il ton ami, Steven?


A part ça, le premier gros gros problème d'écriture vient au moment de la course. Comment? Personne n'a eu l'idée de reculer, d'explorer la course en 5 ans? J'entend rire les raccourcis de la série Mario Kart. Ils sont là, dans l'ombre de la salle, à se baffrer de pop-corn et à se dire: "Come on, Steven, as-tu déjà jouer plus d'une heure à un jeu?". Il y a plein de façons différentes de jouer à des jeux. Certains joueurs, certe, respectent bien les règles comme il faut, tandis que d'autres préfèrent explorer en tournant le dos aux objectifs. Certains cherchent des glitchs, font du speedrun, créés des mods, font de la recherche ingame comme le montre les vidéos très riches autour du lore de Dark Souls par exemple. Personnellement, je me souviens de mes différentes expériences de jeu de course, San Francisco rush sur la 64, des Gran Turismo, TrackMania, Grid, Wipeout ou même Burnout par extension. Je me souviens de m'être balladé dans certains niveaux, et un peu en dehors, dans le décor, d'observer comment le jeu etait foutu, de voir s'il y a des trucs cachés, et pourtant je ne suis pas un hardcore gamer, mon rapport au jeu est casual plus. Ici, l'objectif du jeu dans l'Oasis est de trouver des clés pour ensuite avoir du pouvoir et de la thune. C'est l'objectif! Personne en cinq ans n'aurait fouiller les archives de ce bon vieux Hallyday? Personne n'a exploré la course? C'est impossible à croire, cette pillule ne passe pas et montre un manque d'intéret pour la communité vidéoludique et pour le jeu en général au profit d'une foi aveugle en de nombreux a priori qui font que le film ne poussera jamais très loin la refléxion.


Du coup, en accordant peu d'importance à des éléments narratifs pourtant cruciaux, le film montre la culture geek comme un pur apparat, un jeu bas du front, aux règles aussi simple que celle du Dobble. Ce jeu consiste à prendre une carte, et à chercher un motif en commun avec la carte sur le plateau afin de s'en emparer en citant le motif trouvé: dauphin, ying-yang, coeur ou encore bombe.


https://fr.asmodee.com/fr/games/dobble/


Dans le Dobble, ça marche, c'est un jeu d'observation qui ne prétend pas créer de relation diégétique entre le dauphin et la bombe(boom=snif). Hors, au cinéma on s'attend quand même à autre chose qu'à un enchainements de motifs grossiers suivant une naration qui laisse apparaitre ses propres failles en s'en foutant.


Autre problême dans l'écriture: l'Oasis est un jeu mondial, et pourtant il s'avère que les kids qui se sont rencontrés dans le jeu habitent le même bled et que le super-vilain est lui aussi à trois patés de maison. Non. C'est trop gros. Il y a aussi ce moment ou le majordome des archives accueille Wade et répond à sa demande de visionnage d'un extrait vidéo: "You've only seen it a thousand times". S'ensuit alors ce qui ressemble à une visite guidée completement surréaliste de normalité. C'est donc la 1000ême fois qu'il vient et il doit se retaper les présentations? Quelle chienlit!


Après l'introduction d'une dizaine de minutes de Wade en voix-off, puis le majordome qui explique aux spectateurs ou il est en se foutant du fait que ce qu'il fait est diégétiquement illogique par rapport à ce qu'il a exprimé juste avant à Wade, cela fait beaucoup. Le film passe pas mal de temps à se raconter, et à expliquer au spectateur ou il est, ce qu'il se passe. Le eurêka d'Art3mis version humaine est dans ce sens absolument ridicule. Le cinéma a cette puissance de suggestion qui fait sens et même style chez de nombreux cinéastes. Un dialogue peut avoir différents sens, certains personnages peuvent retenir des informations pour les dévoiler ou non, certains messages peuvent être interprétés différement par des enfants et de adultes et j'en passe. Happy Feet ou Speed Racer sont de bons exemples de films qui sont excellents pour un publique large, qui peuvent s'apprécier selon différents niveaux de lecture(pour les rageux j'ai des arguments si vous captez pas). Ici, il n'y a aucun jeu, la progression est linéaire, les informations se collent les unes après les autres sans surprise aucune, quel ennui. Toutes ces maladresses, ces éléments en porte-à-faux nuisent à la portée intellectuelle du film qui ne saura dépasser la citation de ces sujets.


Bon, il y a beaucoup d'autres soucis, mais je pense que j'ai dit l'essentiel et vais passer directement à la fin parce que sa commence à faire long. Cette fin, je ne mettrais pas de gants, est dégueulasse et scandaleuse. Idéologiquement, c'est vraiment malsain. Donc on passe le temps du film à combattre un méchant qui veut dominer l'Oasis pour au final décider de fermer le jeu le mardi et le jeudi? Tout ça pour deux raisons:



  • 1 Wade a une relation amoureuse et a besoin d'un peu de temps

  • 2 "Reality is real"


Alors là, s'en est trop. Avec un argumentaire aussi dévellopé que ceux de Nagui et Laure Manaudou réunis, le film propose de remplacer une pseudo-dictature par un régime totalitaire, ce qui est censé représenter la victoire du bien. Sérieusement? Après avoir passé l'ultime test du contrat, Wade en signe un autre, sans se poser de question? J'ai des reproches à faire envers le dernier Star Wars: The Last Jedi, seulement quand Kylo Ren propose à Rey de fonder quelque chose de neuf, celle-ci refuse. C'est un moment fort ou Rey s'affirme en tant que personnage refusant toute forme d'institutionnalisation du pouvoir. Ici Wade n'est pas crédible dans ce choix en tant que personnage puisqu'il commet un acte qu'il se refusait d'effectuer une minute plus tôt. La pilule est grosse et a vraiment un goût de foutage de gueule. Au delà du soucis idéologique que représente le fait d'interdire arbitrairement les jeux vidéos deux jours par semaine, cela représente un bordel technique sans nom en terme de timeline et d'organisation mondiale. Les serveurs seront fermés au même moment en Australie et en France par exemple? Ou si c'est en décalé, je devrais attendre la fin de l'interdiction australienne pour jouer avec mon pote australien? La possibilité d'acheter des objets en ligne, et de se les faire livrer(costume complet de Wade), sous-entend l'existence d'une économie et donc de gens qui travaillent autour de l'Oasis et même à l'intérieur de celle-ci. Cette économie s'arrête donc deux jours par semaine? Il s'agit vraiment d'un fantasme de vieux réac qui se réalise dans un film sous la forme d'une morale hardcore. Je ne comprend pas comment la critique peut acquiesser à cette fin qui m'a vraiment mis en colère.


Bon, j'ai encore quelques tours dans ma besace, je les garderais pour plus tard, j'ai d'autres ratons-laveurs à fouetter(désolé pour les ratons, mais ça laissera les chats tranquille). Vous l'aurez donc compris, je n'ai adhéré à aucun aspect de ce film. Le manichéisme assumé ne me gène pas, ni la rencontre entre de multiple univers qui font la pop-culture contemporaine, seulement le regard porté sur celle-ci me semble problématique à de nombreux égards. Le film, dans sa structure est relativement sommaire et linéaire, ce qui n'est pas un défaut en soi. Le soucis est que l'absence d'idées et les incohérences diégétiques multiples soufflent énergiquement les paillettes jetées par la mise en scène, l'animation et les références. J'ai beaucoup aimé certains films du réal, nottament Duel, A.I, Jurassik Park ou encore Minority Report, et j'ai conscience de son importance dans le paysage cinématographique, mais je pense aussi qu'il ne faut pas se leurrer. On voit beaucoup de lectures passionnés du film, beaucoup de critiques qui listent des défauts mais finissent par un "c'était pas si mal" respectueux. C'est chiant et ça fait croire à de nombreuses personnes que c'est ça un bon film. Hors, le sommeil de la raison engendre des monstres. Comment voulez vous faire du cinéma dans un monde ou les modèles sont aussi caricaturaux que celui-ci? Il faut arrêter de respecter abusivement ce bon vieux Spielberg. Il a créé des mondes, fait du bon cinéma, il en fera sans doute encore, mais là, on se fout de nous, on se fout des jeux vidéos. En lisant les critiques on a l'impression que la culture geek de Spielberg est représentative de la culture geek au sens large. Hors, la vision du réal est passéiste, blanche, de plus la pop-culture n'est plus ce qu'elle était. Aujourd'hui, les hybridations culturelles sont multiples et largement influencés par internet(memes dans Pacific Rim: Uprising par exemple). Le soucis est que RPO ne souhaite pas être de son temps mais tente de réécrire le passé, de créer la nostalgie d'un passé qui n'a pas existé(Cimino). La culture geek de chacun se retrouve face à une injonction du pape de cette culture. Cette injonction devient un fétichisme immonde qui ignore qu'aujourd'hui la culture populaire existe encore, prend de nouvelles formes, continue d'être créative et de s'hybrider au delà du cinéma et des jeux vidéos.

BobChoco
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le 23 avr. 2018

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