« Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s'est passé » écrivait Terry Pratchett dans Les Zinzins d'Olive-Oued, un de ses romans qui parle de cinéma.


C'est étrange comme cette phrase résonnait dans ma tête en sortant de la séance de Ready Player One. Est-ce que j'ai fondamentalement passé un bon moment ? Je ne sais pas. Je pense que le ratio éclats de rire / soupirs doit se situer à 0,4 ; ce n'est pas un excellent score pour Spielberg.


Reprenons au début.
Adapté du livre éponyme, un young adult qui faisait un concours à celui qui caserait le plus de référence pop-culture par page, c'est l'histoire d'un jeune homme sans charisme qui est un joueur exceptionnel dans ce qui a remplacé la réalité pour ses contemporains. Il faut dire qu'entre regarder un bidonville morne et pollué et une plage paradisiaque, je choisis la plage paradisiaque aussi, on s'entend.
Grace à ses talents, il participe à la quête du McGuffin ultime, l'Easter Egg qui lui permettra de devenir le maître de cet univers, de gagner de l'argent (et au passage de chopper une fille et de comprendre le pouvoir de l'amitié). Sauf que les méchants aussi veulent gagner de l'argent et devenir les maîtres du monde ! Une course se lance donc entre les deux camps et c'est un young adult donc vous avez déjà deviné la fin. La seule subtilité est peut-être que cette course repose sur la connaissance quasi encyclopédique de la vie et des centres d'intérêt de son créateur, J. Halliday, qui était un gros geek.
En gros.


Formellement il y a beaucoup de bonnes choses dans ce Spielberg. La réalisation est parfaite, léchée, réfléchie. C'est un film rythmé et coloré avec des scènes d'actions chargées mais lisibles.


Contrairement à ma crainte initiale, le film fait certes du placement de produit, mais ce ne se surcharge pas non plus. Cela caresse le geek que je fus dans le sens du poil, cela flatte mon égo et mon sentiment d'appartenance à une communauté ; et oui, cela explique les notes sur internet. Le scénario est prévisible et les acteurs principaux manquent un peu de punch (Tye Sheridan est hélas une huître et Ben Mendelsohn n'arrive pas, à mon sens, à produire un antagoniste crédible) ; cela reste une montagne russe.
Une montagne russe sympa, parfois surprenante, souvent poussive, qui te masse le dos et le pied pendant trois heures.


Ce qui me gêne davantage est le fond.
Si Ready Player One est une montagne russe, alors son décor est la décharge de ton enfance idéalisée avec des tas de références utilisées sans réel recul.


La pop-culture qui est mise en avant dans le film est avant tout une culture commerciale et consumériste, et, dans un film cyberpunk, c'est en général l'occasion rêvée pour parler de problèmes sociétaux.
Je ne dis pas que rien n'est évoqué, hein. On parle d'esclavage, on parle de capitalisme débridé, on a même l'impression que jusqu'aux derniers moments, l'État de droit de n'applique pas dans la diégèse de Ready Player One. Il n'y a pas par contre plus de critique que ça. C'est "normal".


Et tout d'un coup, que quelqu'un appelle la police parce qu'un homme menace les gens avec une arme fait relativiser… Tout le reste ? La diégèse devient un décor en toc qui ne tient que parce son créateur la tient à bout de bras. « Pourquoi n'ont-ils pas appelé la police plus tôt ?! » s'écrit mon cerveau fatigué. Est-ce que le problème c'est seulement les armes ? S'il l'avait battu à mort avec un talkie-walkie, ça aurait été okay ? Les arrestations arbitraires, les meurtres, les conduites dangeureuses et la torture généralisée avec séquestration, ça, c'est okay en fait ?


Le scénario est hélas un mélange entre le mono-mythe cher à la littérature fantasy et cette histoire du geek qui obtient la fille à la fin. Les choses se font par inertie, les motivations restent obscures et, finalement, l'antagoniste principal n'est jamais vraiment menaçant.


Quand le manège se termine, on a été a Euro-Disney. C'est une attraction de qualité et il y a des moments marquants. Je pense que l'intrusion des personnages dans le Shining de Kubrick restera un moment d'anthologie. Mais quand on en ressort, on voit qu'il n'était qu'un décor en carton avec des panneaux publicitaires, un "hommage" aux années 1980.


Comme si Spielberg commençait à affronter l'idée de la mort.


« Dans chaque vieux, il y a un jeune qui se demande ce qui s'est passé », et c'est peut-être le cas de Spielberg. À 71 ans, et très assagi, ce film revient sur son amitié avec Kubrick, mais surtout sur la période qui a vu naître les films qui l'ont rendu légendaire. Spielberg est devenu une icône et s'auto-cite abondamment, comme s'il y avait chez lui la triste nostalgie d'un âge d'or passé. Et contrairement à cet âge d'or, il le fait avec un film aseptisé et formaté. Commercial, mais pop, hein. On a le droit quand c'est pop.
Parfait sur la forme, vide sur le fond.
Un œuf de Fabergé.
Beau, mais vide.
Voilà Ready Player One.

OrCrawn
5
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le 3 avr. 2018

Critique lue 332 fois

OrCrawn

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