A l’aune d’un Spielberg réinvestissant une figure emblématique de la comédie musicale, l’envie m’a pris de revoir une autre de ses oeuvres censée être nourrie par un regard profondément fixé dans le rétroviseur. Sauf que, tout comme son nouveau West Side Story, Ready Player One est un film qui se conjugue au présent.


Préjugé comme une course aux références nostalgiques, Ready Player One démonte clairement cette idée. Par exemple, à propos de la moto d’Akira, Parzival criera à Aech que l’important ce n’est pas la moto mais celle qui la chevauche. Amoindrie donc est la référence à une oeuvre centrale du genre cyberpunk qui sera d’ailleurs ratatinée par la pogne d’un gros singe mondialement connu. Aussi, Harley Quinn, figure immanquable de la culture comics, est conviée par i-R0k à dégager le plancher, et ne parlons même pas du pauvre caméo du Joker qui s’ensuit. Encore et surtout, la pléthore de références d’arrière-plan faites à travers l’apparition de nombreux personnages de la pop-culture finit de démontrer la volonté de Spielberg. Tous ces caméos n’en sont en fait pas. Le film agite ainsi des coquilles habitées par des joueuses et joueurs du monde réel de Ready Player One mais complétement désertées par les personnages représentés. Des « shells » habitées par d’autres « ghosts ». L’artificialité de tous ces avatars finit de tracer l’artificialité du rapport que Spielberg entend entretenir entre le spectateur et ces figures populaires (dans le cadre du film). A partir de là la nostalgie ne devrait pas pouvoir découler, Spielberg ferme sec le robinet. Et la merveilleuse bataille finale ne reviendra pas sur cette intention. Car si les personnages connus et reconnus semblent nourrir une soupe de fan-service, il faut bien voir les fantômes envahissants qui habitent la coquille à ce moment du film : des révolutionnaires. On ne peut donc pas s’en tenir, de notre côté, à ne voir que Batwoman, le mecha de Gundam, un gremlin de noël ou encore Spawn se mettre sur la figure avec des employés de IOI rejoints par Mechagodzilla. La nostalgie formelle s’efface derrière une incarnation se nourrissant à même le récit du film. La soupe nostalgique de cette bataille devient alors un élixir de révolte.


Bien sûr Ready Player One ne s’en tient pas qu’au démantelage de la nostalgie. Il délivre une histoire classiquement Spielbergienne, une opposition entre une entité puissante et une moindre force. Si ce rapport de forces a pu se jouer entre des pêcheurs et un requin, ou des enfants et des agents du gouvernement, ou un chasseur de trésors et des nazis, il se nouera dans ce film entre des petites gens et IOI, une diabolique entreprise de la tech’ dans un futur un peu merdique. L’affrontement prendra lieu entre deux mondes, la réalité du film et l’Oasis (réalité virtuelle créée par James Halliday). Et si dans la réalité la corporation IOI ne joue pas dans la même cour que Wade Watts et sa petite bande pour mettre la main sur le legs de Halliday, en revanche dans l’Oasis, les deux se retrouvent sur un pied d’égalité où David peut encore rivaliser avec Goliath (le « But this is my world » de Parzival - l’avatar de Wade - à Sorrento - l’avatar de l’antagoniste - sur le point de sa faire botter les fesses dans l'Oasis). Dans un sens, ce sous-texte sur l’éclatement du rapport de force entre l’individu isolé et les GAFA a de quoi inquiéter. Mais dans un autre sens, la possibilité d’un déplacement de ce rapport sur un autre terrain plus équitable a de quoi rassurer. A partir de là, dans un universalisme qui colle à Spielberg, le film nous laissera-t-il le soin de penser que l’oppression même implicite peut ne pas être subie ad vitam eternam. Elle peut être dépasser grâce à des chemins de traverse dont il s’agit de prendre conscience.


Ce dépassement ne se fait pas tout de suite en hurlant à la révolution dans Ready Player One. Il se joue d’abord à un niveau plus étroit et même complètement intime. En remontant la personnalité de James Halliday, le créateur de l’Oasis, à travers des épreuves et des énigmes permettant de décrocher le gros lot de son héritage après sa mort. Spielberg remonte la source. Peut-être même discute-t-il des questions qui le taraudent lui avec cette première épreuve fondée sur un profond désir de faire marche arrière. Un désir qui permettra cependant d’avancer, Spielberg dépasse-t-il ainsi cette tentation de fuite en arrière. Et ensuite cette deuxième épreuve prenant place dans le cinéma de Kubrick auquel il joint la crainte de la première danse et du premier baiser, une source créative puisant autant dans les rencontres artistiques que les rencontres amoureuses. La dernière épreuve, où Parzival devra dénicher l’easter-egg d’un jeu-vidéo est plus délicate à appréhender. La victoire serait le fruit d’un conditionnement et le hasard/tatonnement seraient les sources d’un véritable accomplissement.


Un autre niveau de profondeur découle de l’épreuve après les épreuves (éteindre l’Oasis ou non) lors de la rencontre entre Parzival et un James Halliday virtuel dans sa chambre d’enfant. Parzival apparait alors moins comme l’avatar de Wade que Wade semble être un avatar de Spielberg. Inspiré par ses « James Halliday » à lui et ayant trouvé ses propres clés il aura mené ses révolutions artistiques. Seulement Wade peut être autant vu comme un avatar de Spielberg que comme un avatar du spectateur lui-même. A travers le fantôme de James Halliday, Spielberg projette alors son propre spectre figurant le passage du témoin créatif dont il s’était saisi.


On aura alors vite fait de présenter cette fin comme le marqueur d’un film crépusculaire où Spielberg énoncerait la propre mort de son cinéma en plus de la sienne. L’intention est pourtant toute autre. Par cette Oasis transmise de James Halliday à Wade Watts, Spielberg imagine moins l’enfouissement de son cinéma dans une nuit sans fin qu’il n’est enclin à croire en sa réincarnation dans les aubes prochaines qui saisiront l’héritage.

-Thomas-
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le 25 déc. 2021

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Vagabond

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