Récemment, j'ai été pris d'une crise de dupieuxphagie. J'ai regardé plusieurs des films de Quentin Dupieux en quelques jours. Je n'ai jamais eu une envie de crier au génie en les regardant, jamais été transformé et boulversé comme devant un "Looking for Eric" ou un "Taxi Driver". Mais ce cinéma m'est familier, il m'est également facile à regarder. J'en conclus donc qu'il doit y avoir une certaine proximité entre les thèmes de Dupieux et ma psyché. Je pense qu'il est intéressant de noter que ma crise de Dupieuxphagie suit ma crise de Noéphagie, comme si j'avais décidé de me balader dans ce que le cinéma français comporte de plus frappé. En parlant de films bouleversant, je pense également à "Carne" et "Seul contre tous", qui m'a scotché par son côté pionnier, sur tant de point: esthétiques, musicaux, du simple départ de son obsession pour les stromboscopes à la naissance de son aversion pour quelque chose de culturellement rassurant. Mais avec Noé, on est dans un autre registre, barré mais autrement plus sale et indigeste que celui de Dupieux. Un registre plus malaisant et plus compliqué à regarder. Les deux cinéastes ne poursuivent pas le même grââl.


"Réalité" vient pour moi confirmer la théorie que j'ai vu sur SC à propos de Quentin Dupieux: son cinéma est autrement plus savoureux quand il va (un peu plus) en profondeur dans le sujet. Quand il est un peu audacieux avec lui-même. Cela induit pour lui d'arrêter de sortir des films courts au goût d'inachevé, avec le scénario tenant sur un bout de papier. Je pense à "Yannick", conduit seulement par la perf magistrale de Raphaël Quenard et avec un Pio Marmaï toujours aussi délicieux, ou "Fumer fait tousser", où le casting parisien à la rescousse n'a rien pu faire. Le problème et la force de Dupieux, c'est notamment la difficulté des thèmes: la réalité et ses embranchements, la violence et son ironie peut-être dans "Fumer fait tousser" (?), l'art et le spectateur dans "Yannick". C'est difficile à aborder, prise de tête; c'est bien pour de la littérature par exemple. Et Dupieux arrive à souvent en sortir quelque chose, avec de la vivacité, de l'humour et sans tomber totalement dans la fade abstraction et l'absurde. L'équation est difficile pour Dupieux: il quitte maintenant la totale absurdité d'un Rubber ou du Daim, des films frais, drôle, novateurs mais difficilement réfutables; pour se rendre sur un terrain (légèrement) plus politique où il pourrait être confronté, avec "Yannick", "Fumer fait tousser" ou encore "Réalité"/


Sur "Réalité" en lui-même, j'ai apprécié la poésie, qui m'a fait pensé à du Boris Vian (par exemple, la scène du proviseur Henri (Eric Wareheim) conduisant la Jeep) ou les changements de bureau et les facéties autour du tabac du producteur de film (Johnatan Lambert). J'ai apprécié la fraîcheur de ce casting bicéphale américano-français (Elodie Bouchez, Kyla Kenedy et Jon Heder), avec un Johnatan Lambert, que j'apprécie énormément, étonnament juste et ferme dans son personnage. Inutile de mentionner un Alain Chabat fidèle à lui-même (c'est-à-dire un monstre sacré pour moi, ou si ce terme est en désuétude par l'action de Depardieu: un dieu vivant). J'ai trouvé que Dupieux ne tombait pas trop dans l'absurde, conservant un propos "recevable" et "entendable". Esthétiquement, le film est leché, j'ai apprécié de nous avoir placé sur une "timeline" VHS téléphone fixe. Sur le sujet en lui-même, je n'ai pas les compétences; mais j'admire les efforts de Dupieux pour aborder ce thème: la réalité n'est pas tangible, elle n'est que perception. Nous sommes coincés dans des boucles; ce que j'entreprends à déjà été fait; et sera forcément refait ailleurs.


En bref, je demande à partir de maintenant à Quentin Dupieux de soit faire des films plus longs et plus investis, plus risqués et plus travaillés, ou d'arrêter de faire du cinéma (lol). Merci.

alestragon
8
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le 27 déc. 2023

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alestragon

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