Le titre du dernier long-métrage de Quentin Dupieux - Réalité - sonne comme une réponse amusée au titre du premier - Nonfilm. Entre temps, Steak puis la trilogie du 4K avec Rubber, Wrong et Wrong Cops s’étaient chargés de poursuivre un geste cinématographique bizarre et joyeux, ludique et audacieux, œuvre-hommage à l’absurde.
Malgré ce que son baptême pourrait laisser supposer, Réalité n’échappe pas aux tropismes de son auteur et pourrait-on dire, en fait même le bilan, témoin du premier regard réflexif de Dupieux sur ses films précédents. La première partie du film ressemble d’ailleurs à une immense installation quelque peu crispée : moins fou que Rubber, moins rêveur que Wrong, moins sale que Wrong Cops, Réalité veut les contenir et les absorber tous dans un style hier avant-gardiste et désormais rêvé légitime, application un peu scolaire de la géniale introduction programmatique du no reason de Rubber.
Ce n’est qu’une fois l’installation achevée que Réalité semble acquérir enfin sa propre identité, nourrie par la très belle idée d’un cauchemar éternel et tout à fait réel, d’un sommeil éveillé à perpétuité auquel est condamné son protagoniste-cinéaste. Sans porte de sortie, sans mystère et sans clef, très loin de la monstrueuse causalité explicative qui gouvernait par exemple Inception, Réalité submerge alors son spectateur comme autre chose qu’un exercice de style maîtrisé, devient le non-film promis, un film sans raison ou justification, oubliant la question de sa légitimité pour s’intéresser à nouveau à ses personnages fascinants dont la mine régulière et lissée constitue tout l’absurde des situations : chez Dupieux, le décalage ne vient pas du monde, mais de ceux qui l’habitent. Comme vidés de l’intérieur, de leur puissance à créer du sens ; le plus beau gémissement qui soit.