Réalité ne fait pas parti de ces vulgaires tartes aux fraises faciles à réaliser, disposant que de peu d'ingrédients, qui plus est, sans grande originalité gustative. Non, Réalité n'est pas le genre de produit industriel qu'on a tendance à becter juste histoire de. Réalité, c'est un gâteau de bâtard aux saveurs complexes aussi difficile à façonner que les différentes saveurs sont suffisamment subtiles pour émerveiller les papilles.


Dupieux c'est un héros, et faut pas croire ce que disent les journaux, notamment sur son premier long-métrage Steak qui, derrière ce côté comique, demande distanciation afin de cogiter sur ce bien mal nommé OVNI. Là, c'est pareil. Pour Réalité, Mr.Oizo s'envole en offrant bien plus qu'un film comique, mais une véritable réflexion aussi complexe qu'accessible autour du cinéma.


Chaque scène, chaque dialogue, est pensé afin de nous faire cogiter autour de ce septième art. Cela part du sanglier vidé parce que «l'intérieur ne sert à rien», car ce qu'il compte c'est l'extérieur, peu importe le fond. Une scène qui montre qu'un film peut être malheureusement pris juste pour un truc qu'on consomme, sans âme ni quoi que ce soit d'organique, afin que la «cassette passe toute seule». Réalité est fait pour aller jusqu'à une combinaison de délires plus ou moins foutraques, mais n'est absolument jamais vide de sens. Le terme «non-sens» étant employable ironiquement pour les imbéciles. Terme qui agace de plus en plus Dupieux.


Par exemple, après ce délire d'homme barbu vêtu comme une vieille bourgeoise dans son jeep, Dupieux propose une séquence incroyable où le personnage d'Alain Chabat propose son idée de film d'horreur à son producteur : Waves, idée nanardesque, où les postes de télévisions abrutissent les gens grâce aux ondes, jusqu'à ce que mort s'en suive par hémorragie abusive et explosion. Quand on regarde de plus près, cette idée est bonne. La télé rend vraiment con et tue la culture. Et plus on est con, plus on la regarde, plus on tue cette culture. Cependant, avec Waves on privilégie la forme avec un scénario spectaculaire, où le cri d'agonie est primordial vis-à-vis du fond de l'idée, alors vidée.


Juste ensuite, pour une réflexion autour de la mise en scène, Bob, le personnage de Jonathan Lambert propose un cigare à Jason, comme tout bon producteur ferait. Or Jason ne fumant pas, il refuse, mais parce qu'il se fait forcer la main, finit par accepter car c'est comme ça que ça se passe dans les négociations. Quentin Dupieux critique le fait de banaliser les choses, en mettant en scène des acteurs poussés à faire des choses qu'on peut dire naturelles, alors qu'elles ne le sont pas forcément, juste un cliché. La mise en scène (la vraie) décalée rend la chose étrangement cocasse, étant donné que le personnage de Chabat (étant lui même réalisateur dans sa vraie vie) ne fume pas, il a juste l'air d'un con, et se fait donc reprendre par le producteur, et suppose que finalement c'est une idée de merde.


D'ailleurs pour aller toujours plus loin, Dupieux remet en cause cette idée de perfection de mise en scène, avec le producteur qui va repousser Chabat dans un état de stress indéfinissable, pour la quête de l'Oscar du «meilleur cri» pour son film prometteur, dans un délai de 48 heures. Un Oscar qui le hantera. Dupieux appuie une fois de plus sur les problèmes de production du cinéma et va plus loin, en imageant les problèmes du réalisateur en quête de d'excellence. Derrière la vanne du "Viens t'asseoir à mon bureau, on est bien", "Viens dehors on est mieux", "Reviens dedans en fait" et "Finalement c'est pas mieux dehors ?", il exprime avec humour la recherche du plan parfait et crédible d'un cinéaste dépassé. Il n'y a qu'à voir bien plus tard, l'excellente et absurde scène où Jason s'assoit sur le bureau en pleine forêt, ou encore le travail pour les cris qui ne valent en rien un vrai cri de douleur, pour voir que cet idéal est invraisemblable.


Cette quête de la perfection est le thème principal du film. Le personnage qui en parle le mieux est celui de John Glover, loin d'être anodin, ce cinéaste se révèle riche de talent mais pauvre financièrement. Il fait ce qu'il lui plaît jusqu'à user de la pellicule à n'en plus finir pour un plan d'une enfant qui s'endort vraiment. Il va mettre toute son âme pour son œuvre, le temps qu'il faut pour avoir ce qu'il souhaite, pour un film qui sort de l'ordinaire, un film intelligent. Ce temps et cette pellicule qu'il consacre au film, fait là toute la qualité de l’œuvre une fois terminée, contrairement au film Waves sorti «plus tôt que prévu» au point qu'il soit en salle avant d'être tourné, et surtout mauvais. Le film de Glover lui, se veut d'être le plus proche possible de la réalité. Un film malin, en particulier pour sa merveilleuse fin, qui créera la chute de notre film pour la même occasion, qui se joue des attentes, qui prône le suspens à la place des fameuses actions qui envahissent l'écran toutes les 15 secondes dans les blockbusters.


Ce film, c'est un peu celui que nous suivons en fait, c'est Réalité. Tout comme Bob le producteur, on peut trouver que le début est chiant si la distanciation n'est pas là. Ce film demande en effet un certain recul, un recul qui fait savourer le suspens mis en place, suspens qui éclipse absolument tous ces semblants de longueurs, particulièrement lors des visionnages supplémentaires. Il faut prendre le temps d'analyser chaque action, de comprendre la puissance et l'intelligence du film derrière ce comique subtil mené par un excellent Chabat.


Derrière ces cris aussi drôles que ridicules ainsi que cette cérémonie en guise de mauvais rêve, se cache le fruit d'un des films les plus brillants sur le cinéma, une pépite sur l’obsession, mais surtout un bijou sur la quête de perfection qui nous fait réfléchir sur le vrai du faux, la mise en scène de la réalité.

Alex-La-Biche
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le 25 déc. 2015

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Alex La Biche

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