Bon…
Il a des retours globalement assez positifs ce « Rebelles » et, d’un certain point de vue, je peux comprendre pourquoi.


C’est vrai qu’à bien y regarder, on a affaire là à un film plutôt généreux, à l’intrigue assez riche en rebondissements et dont le rythme n’est pas trop mal géré.
Et puis moi, quand tu me mets Yolande Moreau, Simon Abkarian et Cécile de France dans un même film, forcément ça attire ma sympathie.


Bref, ça aurait franchement pu le faire me concernant – et d’ailleurs je pense que ça le fera pour beaucoup d’entre vous – mais malheureusement, dans mon cas, il y a vraiment deux énormes soucis qui m’ont bloqué tout le long de la projection.


Le premier, il est d’ordre plastique.
Triste constat dès les premières minutes du film : c’est quand même vraiment pas très beau.
On sent pourtant qu’Allan Mauduit essaye de faire de son mieux pour esthétiser chacun de ses plans : légers travellings sur les plans larges, recherche de symétrie et de géométrie dans les plans d’usine, adoption d’angles audacieux lors de certaines scènes (le plan de Simon Abkarian et de sa pelle dans le mobile home fait partie des quelques rares réussites du film.)…


Seulement voilà, à chaque fois c’est juste un début de quelque-chose sans qu’aucun essai ne soit vraiment transformé.
La faute déjà à une vraie incapacité à iconiser les lieux et les situations. C’est très illustratif. Ça ne sait cerner aucun détail. Ça ne dit rien au-delà du premier degré de lecture. En plus de cela la photographie adoptée tout au long du métrage est celle d’un cinéma naturaliste dans lequel ce film ne cherche pourtant absolument pas à s’intégrer.
C’est donc vraiment triste à constater mais le manque réel de cohérence et de savoir-faire d’Allan Mauduit sur cette question là fait que sa mise en scène ne parvient jamais à donner du relief à l’intrigue qu’il entend dérouler. Pire, souvent cette mise-en-scène en devient carrément contre-productive.


Je pense notamment à la direction d’acteurs qui ruine la plupart du temps le matériau de base. C’est joué comme une comédie triviale alors que l’écriture tend vers un mélange de cynisme et d’absurdité.


(Exemple flagrant pour moi : la rencontre entre Simon et Boniface. Eric Godon la joue tout en gaudriole et emphase, comme une sorte d’arlequin superfétatoire. Et s’il le fait c’est certainement parce qu’on lui a dit qu’il fallait que son personnage apparaisse comme pas sérieux et risible. Mais le problème c’est que du coup, à peine débarque-t-il qu’on ne sent aucune tension. Or, pas de tension, pas de désamorçage et donc pas d’humour. La scène ne se réduit ainsi qu’en une simple transmission d’informations : « Boniface est arrivé. C’est un boss en carton. Mais c’est lui qui va accélérer la traque menée par Simon. » Pourtant, si Eric Godon l’avait joué sérieusement dès le début, une tension se serait alors installée. On serait sorti le temps de quelques secondes de la comédie pour crédibiliser la menace et là – bim – ça aurait été le moment où le fils Boniface serait venu rompre la chose avec son : « alors on va pas faire un tour de bateau papa ? » Ça aurait créé un désamorçage brutal et donc un effet humoristique d’autant plus efficace. Et pour peu qu’en plus cette scène soit tournée à la façon d’un duo Kervern et Delépine, l’effet comique en aurait été encore décuplé.)


Et c’est franchement dommage que la forme ne soit pas à la hauteur parce qu’à bien prendre du recul sur ce « Rebelles » je trouve que l’écriture est globalement efficiente.
Elle pose vite les enjeux, elle est riche en péripéties, elle sait monter en puissance et elle dispose même d’un potentiel cynique et comique certain… C’est dense, clair, rythmé et potentiellement drôle.
Le même script dans les mains de Bouli Lanners et on avait là un film dévastateur. Avec un gars d’un tel cru, ça me parait non seulement évident qu’on aurait évité ce premier gros souci formel, mais je pense qu’en plus ça nous aurait permis d’éviter aussi le deuxième gros souci qui m’a vraiment bloqué face à ce film.
Ce souci c’est… le parisianisme.


Oui, le parisianisme.
Je ne vois pas comment le dire autrement. Ce film est vraiment « parisien ».
Franchement, je ne sais pas d’où viennent Allan Mauduit et Jérémie Guez, les deux scénaristes de ce film, mais ils ont quand-même une fâcheuse tendance à cocher toutes les cases du Parisien caricatural.
Quand je regarde ce film, j’ai l’impression d’entendre un stéréotype sur patte me présenter le Pas-de-Calais. C’est fait avec autant de finesse que s’ils avaient à me présenter l’Europe de l’Est.
En gros ça se résume à ça : dans le Nord-Pas-de-Calais il n’y a que des pauvres, des beaufs, des gros et des illettrés. La seule chose à sauver dans cet espace de sous-civilisation, c’est quelques blondes pas trop mal fichues qu’on pourrait éventuellement épouser à condition de ne pas trop être regardant sur la profondeur intellectuelle.


Tout un symbole : seuls deux personnages nous sont présentés comme pas trop demeurés.
D’un côté il y a Sandra. C’est une fille du terroir. On nous la présente certes avec un peu de caractère, mais c’est vraiment son seul mérite. Parce qu’au-delà de ça on nous montre aussi d’elle qu’elle est une mijaurée prétentieuse et peu fiable ; une Miss plouquette qui n’a pas de style et qui est – bien évidemment – incapable d’avoir un contrôle sur sa fertilité… Une fille du Nord quoi hein…


Et de l’autre côté, on nous présente un gars qui lui non plus n’est pas trop mal fichu (ils sont deux dans toute la ville), mais qui en plus présente le mérite d’être un brin malin et charmeur : il s’agit de l’inspecteur Digne. Alors forcément, à partir de ce moment là je me suis dit : « tiens, ce film se risquerait-il enfin à présenter le Pas-de-Calais comme étant un peu plus que ce que veut bien faire croire la caricature ? »
Eh bien non pensez-vous ! Il ne fallait surtout pas risquer la rupture de suspension consentie d’incrédulité chez les spectateurs !
On s’empresse assez rapidement de nous dire que ce gars pas trop ramolli du bulbe vient en fait de Paris (ouf ! La logique est sauve !) et surtout on nous explique que s’il est là, c’est parce que c’est un rebut qu’on ne peut accepter dans la capitale. (Bah oui… Qui voudrait vivre dans le Nord de son plein gré ?)


Alors je veux bien parfois faire preuve de souplesse d’esprit à l’égard de certains clichés tenaces, mais personnellement je commence à en avoir marre de constater que la grande majorité des films qui parlent du Nord, de « Bienvenue chez les ch’tis » aux « Invisibles » en passant par « l’Hermine », sont autant de « Tintin au Congo » où le Parisien / bourgeois est Tintin et où les Nordistes / prolos sont les Congolais.


Certainement qu’en disant cela je fais mon Nordiste susceptible mais d’un autre côté il me semble que ce détail est loin d’en être un.
Finalement, c’est même là-dedans qu’on pourrait trouver tout ce qui m’a empêché de percevoir « Rebelles » comme un film éminemment sympathique. Ce film s’est efforcé d’aborder un genre, une histoire et une région en ne maîtrisant presque rien, mais en le faisant avec l’audace et l’aplomb de celui qui est convaincu qu’il maîtrise presque tout.


Alors certes, cela permet parfois de belles choses et de bons moments...


(la mort du personnage de Simon que j'ai trouvé par exemple assez intéressante parce qu’enfin dans une logique de décalage.)


...mais la plupart du temps cela entraîne quand-même de sacrées balourdises, absurdités et autres violences de classe.


C’est triste à reconnaître mais en définitive « Rebelles » est au fond ce que le cinéma français mainstream peut produire de mieux, c'est-à-dire quelque-chose qui, lorsqu’il parvient à être sincère et généreux, ne sait pas vraiment aller au-delà du simple spectacle trivial, inabouti et bancal.
Eh bah moi, c'est tout bête, mais c'est bien là le genre de constat qui me blase un peu...

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le 3 avr. 2019

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