Vers les nouvelles dystopies anti-justice ?

Critique préventive sur bande-annonce, rédigée le 4/11/2025

Une dystopie sur le thème de la justice algorithmique, à l’ère de Trump, a tout d’un piège envers ceux qui se voudraient attachés à la notion de liberté, déjà dévoyée.


À l’heure où la justice est l’un des derniers remparts au fascisme chalutier des MAGA, réactionnaires, évangélistes et pro-armes en partenariat avec la technique la plus avancée sans aucune régulation, comment faire de la SF à Hollywood ? L’indépendance de la justice est mise à mal là-bas et jusqu’à chez nous, la décrédibilisation du droit et des magistrat dans les procès RN et Sarkosy est d’une violence médiatique sans nom, le syndicat de police Alliance, largement majoritaire, n’hésite pas à dire que le problème de la police c’est la justice. Et là, en 2026, arrive donc une dystopie qui semble vouloir nous alerter (ou fantasmer) à propos d'une justice arbitraire dirigée par IA et qui s’en prend à un policier. Autrement dit, alors que la justice tente de résister aux pleins pouvoirs de Trump qui veut de l’IA partout et surtout pas de règles, c'est donc elle le danger du futur proche pointé par ce film.


Cette bande-annonce est pleine de spoilers. Elle nous montre aisément l’esprit de ce futur proche : fini la présomption d’innocence (« pas de procès sans culpabilité »), finis les tribunaux, la défense face à l’accusation, les échanges d’arguments, la délibération d’un jury (on est sur un meurtre quand même), il faut désormais prouver son innocence en quelques minutes en étant attaché sur une chaise. Si l’on se targuait d’une analyse de parabole, on dirait que l’ordre et la sécurité incarnés par le policier (homme blanc hétéro de plus de 40 ans) sont paralysés par une juge arbitraire et expéditive. Mais cette bande-annonce nous spoile aussi le twist : il y a un complot contre le policier et en fait l’IA a été manipulée. Analyse expéditive : en fait, à la fin, on se dit que si c’est bien utilisé, ça serait pas mal de remplacer les magistrats par de l’IA. C’est donc politiquement encore pire, à moins que le twist ne renie également le principe « pas de procès sans culpabilité ».


L’ère des blockbusters de propagande serait-elle arrivée ? Ce ne serait pas la première fois qu’Hollywood se met (de son initiative) au service d’une idéologie pro-armes, pro-armée, qui adore les flics et tuer les méchants sans procès, n’est-ce pas les super-héros. Mais sur le thème des algorithmes et de l’IA, il est sacrément gonflé d’imaginer que le risque est celui d’une justice injuste par IA alors même qu’elle court après les dérives des Big Tech depuis des années pour leur faire appliquer le droit et que les législateurs tentent d’inventer un droit qui puisse amenuiser un tant soit peu ce pouvoir. A voir, le film traite peut-être d’une justice qui aurait été confiée aux Big Tech dans un monde cyberpunk de trusts tout puissants qu’il faudrait à tout prix collectiviser mais j’en doute (le héros est un policier, un agent d’Etat donc il y a encore de l’Etat). Ce film ressemble bien plus à une attaque contre l’institution judiciaire qu’à une dystopie alertant sur les abus de l’IA, même après le twist de fin de deuxième acte.


Je n’ai pas vu le film. Je n’ai vu qu’une bande-annonce qui raconte tout le film. Qui sait, on est peut-être devant une future satire incomprise se jouant de nos stéréotypes façon Verhoeven dans une approche brechtienne. Méfiance, gardons nos facultés d’analyse. Mon expérience de bandes-annonces et de films moisis et surtout de bandes-annonces de films moisis m’autorise cependant en toute arrogance à douter de cette possibilité. Mais c’en est une.


Alors, vous allez me dire, « oui, mais Minority Report ». Eh bien justement. Tout d’abord le contexte politique de 2002 quand sort Minority Report n’est pas celui de 2025. Mais surtout, dans Minority Report, la police Precrime arrête les criminels avant leur prétendu crime, ce qui empêche toute possibilité de procès juste. Le pouvoir judiciaire y est donc totalement confisqué et impuissant. Dans le propos de Minority Report, on peut lire que chacun peut changer de choix, que rien n’est tracé mais aussi qu’on ne peut juger que les actes. Qu’il faut que les actes aient lieu pour pouvoir les juger. Il y a quelque chose de l’ordre de l’acceptation de la complexité de la justice dans Minority Report. Par ailleurs l’aspect dystopique de Minority Report tient dans sa dimension de surveillance et de suspicion généralisées.


Ce qui s’annonce dans Reconnu Coupable, c’est bien un film anti-institution judiciaire. On en a déjà vu des vigilante et des erreurs judiciaires et des juges pourris au cinéma. La nouveauté là, c’est que l’idéologie anti-Etat, anti-institution (sauf la police) se pare dans une esthétique cyberpunk, avec un récit trépidant à la Philip K.Dick, de la dénonciation des dérives de l’IA et des algorithmes, par une situation kafkaïenne. C’est toute une culture qui se voulait contestataire, porteuse d’alerte, critique de son temps qui se retrouve inversée dans un discours.


Il est permis d’oser espérer que le film cache mieux que ce qu’il annonce. Mais alors que sont pervertis nos rêves (certes naïfs) de conquête spatiale, de technologie émancipatrice et même d’intelligence collective (plus besoin de forums ni de réseaux, on a l’IA), il va falloir se tenir prêt à la récupération de la dystopie. L’une des armes de critique et de vigilance des abus de pouvoir, par l’idéologie elle-même au pouvoir. C’est une idéologie floue, bien plus bourrine qu’elle n’est cohérente mais elle a des effets, comme le dit Asma Mhalla dans son livre Cyberpunk, dans lequel elle qualifie le pouvoir trumpien de fascisme simulacre.


Même si cette pré-analyse pleine de préjugés se trompe, si le message du film n’est pas celui-ci, si la « nuance » amène le propos limpide de sa bande-annonce à dériver au-delà du twist déjà prévu, j’ai bien peur que le film n’en soit que plus simulacre lui aussi.


5/10 parce que pas vu.

Pequignon
5
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le 4 nov. 2025

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Pequignon

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