Reinas
5.9
Reinas

Film de Klaudia Reynicke (2024)

Reinas : les limites de la mémoire intime

Je comptais commencer par une formule simple, du genre "Reinas est juste un film de mémoire". Mais ça sonne trop sec. Alors je préfère le dire autrement : Reinas est un film d’un retour singulier. On le sent dès les premières images. Claudia Reynicke revient au Pérou, après un exil, comme on pousse une porte restée fermée trop longtemps. On ne tombe pas sur une fresque historique, mais sur des rires de famille, une table de repas, des histoires personnelles. Ce sont ces détails-là qui tiennent le film.

On suit deux sœurs, Lucía et Aurora, et leur mère. Elles s’apprêtent à partir, à quitter le pays. Le départ n’est pas encore là, il est un peu suspendu. Et tout ce qui arrive dans la maison devient lourd de sens. Tout se charge de la mémoire de ce qu’on va laisser derrière soi. Les jeunes actrices jouent avec une justesse qui désarme. Juste le vrai de l’adolescence, entre maladresse et tendresse.

Reynicke ne cherche pas à tout expliquer. Elle le dit elle-même : elle ne voulait pas faire un film historique. Elle voulait retrouver l’intensité du départ. C’est un choix. Et ce choix donne au film sa force : il touche par sa pudeur plus que par les explications. Mais ce choix a aussi une limite. Le Pérou des années 90, ses violences, ses fractures, reste en arrière-plan, au loin, trop loin. On devine le chaos, on ne l’affronte pas. Ce n’est pas un oubli, c’est un cadrage.

Alors oui, Reinas émeut, mais c’est tout. Il préfère la mémoire intime au récit collectif. Il raconte le départ d’une famille qui peut partir, plutôt que l’immobilité de celles qui ne le pouvaient pas. Il offre un récit tendre, accessible, universel, calibré pour circuler dans les festivals occidentaux. Ce n’est pas un mensonge, c’est une autre vérité : celle de l’exil raconté depuis l’Europe.

Ce film est sincère et cette sincérité passe. Mais il reste partiel et son silence partiel sur le politique fait partie de son identité. Il faut le prendre pour ce qu’il est : un film de maison, pas de nation.

Au fond, ce que j’en garde, c’est une sensation de fragilité. Comme si Reynicke avait choisi de filmer la sensibilité d'une classe plutôt que l’explosion. On sort de Reinas avec un souvenir d'un départ vu de l’intérieur, un geste personnel qui touche mais qui laisse aussi un vide. Elle voulait certainement nous rappeler qu’avant tout grand bouleversement, tout grand départ, il y a ces moments minuscules, où chaque détail devient une trace (et ça, ça me parle).

jdiaz
5
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Créée

le 25 sept. 2025

Critique lue 2 fois

jdiaz

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