Plus de dix ans après son excellent conte de fée moderne "Penelope", Mark Palansky refait parler de lui grâce à un deuxième long-métrage dans un style radicalement différent du premier. À nouveau avec Peter Dinklage (mais cette fois en premier rôle), "Rememory" prend la forme d'un thriller teinté de SF autour d'une réflexion plutôt habile sur notre rapport aux souvenirs...


Gordon Dunn -on apercevera rapidement que son deuxième prénom commence par un "O", faites marcher vos méninges- a inventé une machine révolutionnaire capable d'enregistrer la mémoire d'une vie de n'importe quel individu, vue à travers ses yeux et sans qu'elle soit altérée par l'usure du temps ou par la subjectivité de ses sentiments. Bref, imaginez visionner la vie entière d'une personne par son propre regard et de manière objective sur un écran grâce à une clé USB améliorée. Alors qu'il a déjà expérimenté le procédé sur plusieurs cobayes spécifiquement choisis avant la commercialisation de la machine, il apparaît de plus en plus clair que l'enregistrement des données de la mémoire l'altère au passage en faisant involontairement revivre des souvenirs enfouis de manière réaliste.
Quelques temps après, peu avant l'annonce du lancement, le professeur Dunn est retrouvé mort dans son bureau...
Sam, un homme toujours endeuillé par le décès de son frère dont il voudrait se remémorer les dernières paroles, vole le prototype de la machine et, tout en réglant ses problèmes personnels, cherche à trouver le responsable de la mort de Dunn qu'il avait croisé le temps d'une nuit. Ses soupçons se portent rapidement sur les cobayes du professeur...


Comme de trop nombreux films reposant sur un concept SF aux ramifications philosophiques passionnantes, "Rememory" donne rapidement l'impression de ne se servir de son invention que comme d'un prétexte à une enquête finalement très banale autour de la mort suspecte de son créateur. En utilisant de manière bien pratique la machine pour avancer, le personnage principal passe ainsi d'interrogatoire en interrogatoire des différents suspects sans que l'on accroche vraiment à cet aspect "whodunnit" vers lequel le film semble se diriger.
Mais, à bien y regarder, quelque chose de bien plus profond se dessine dans ces décors d'une rigidité et d'une froideur clinique où tous les protagonistes semblent figés, retenus par un élément du passé duquel ils ne parviennent à se détacher. Il est encore trop tôt pour en voir tous les contours mais chaque suspect mis en face de ses souvenirs paraît représenter une facette du devenir d'une mémoire. Un vieillard sénile revivant toute son existence, un jeune homme hanté par un traumatisme ressurgi du passé, une femme qui n'a pas supporté de voir en face tous les démons auxquelles elle a survécu, ... Toutes ces rencontres tissent une toile à la finalité encore inconnue autour de cette notion de souvenirs qui peuplent notre esprit : ceux qui restent gravés en mémoire, ceux que l'on préfère ignorer ou réinterpréter plus ou moins délibérément et la réalité des événements passés.
Le problème, c'est que ces développements, aussi intéressants soient-il, s'inscrivent pour l'heure dans cette structure de récit en mode enquête terriblement classique qui ternit leur portée et qui suggère toujours qu'il n'y a rien de plus que des choses évidentes derrière afin de ménager son mystère. C'est un peu là à la fois la qualité et le défaut de "Rememory", nous faire tellement bien croire qu'il va déboucher sur quelque chose de connu pour cacher la teneur de sa dernière partie qu'il en arrive à nous faire parfois décrocher tant tout nous paraît déjà écrit par avance.


Heureusement, sur la forme, l'ambiance pesante dans laquelle baigne le film suggère constamment une brèche de non-dits qui aura son rôle à jouer ultérieurement. Par ailleurs, tout comme la réalisation de Mark Palansky qui a la bonne idée de faire trancher la vision des souvenirs (des sortes de minis films à la première personne brillamment filmés et réellement très proches de la réalité) par le bonheur ou le malheur qu'ils apportent avec le monde austère dans lequel les personnages évoluent, l'excellence des comédiens apporte en plus une densité émotionnelle sous-jacente non négligeable (les scènes entre Peter Dinklage et Julia Ormond sont les sommets de perfection du film en ce sens), laissant toujours à penser qu'il y a plus derrière les apparences.


Et il y a donc cet acte final ! Pour peu qu'on soit un habitué de ce genre de récit, ses grandes lignes ne surprendront pas outre mesure par leur familiarité (ce type de twist a été maintes fois utilisé) mais il impressionne vraiment par sa construction et par la force du souffle tragique qu'il apporte tout à coup aux événements qui l'ont précédé. Cette remise en perspective finement élaborée est clairement ce qui fait basculer le film dans une autre dimension enfin au diapason de comédiens qui n'auront de cesser de briller, d'une approche formelle à la hauteur et, surtout, d'un discours prenant là toute l'ampleur qui lui avait manqué jusqu'à alors.


"Rememory" est donc un de ces films trahi quelque part par sa propre construction. En n'offrant jamais assez de choses pour nous emporter la majeure partie de son temps, le long-métrage prend le risque de tout miser sur sa dernière partie réussie pour offrir un nouveau regard sur son ensemble. Cela reste un pari narratif risqué et, presque ironiquement, le film semble miser sur une mémoire à court-terme du spectateur en espérant que l'impact de son dernier acte gommera le sentiment que tout ce qui a précédé n'avait pas même la même puissance.
Mais, en l'état, "Rememory" reste un thriller d'anticipation hautement recommandable, ne serait-ce que pour la prestation son acteur principal, Peter Dinklage, tout simplement impressionnant de bout en bout.


-À notre que "Rememory" est aussi une des dernières apparitions d'Anton Yelchin sur grand écran dans un rôle assez anecdotique, le film lui est d'ailleurs dédié-

RedArrow
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le 1 mai 2018

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