Telle est la fondamentale question que s’est posée Anna Novion pendant le tournage de son deuxième long-métrage (après « Les grandes personnes » réussite discrète). En effet, elle avait prévu une scène avec Jean-Pierre Darroussin seul en forêt pour téléphoner. Elle avait choisi un parc animalier où des élans passaient comme bon leur semblait, ce qui donnait une situation un peu surréaliste, mais pas ce qu’elle voulait. Or, a-t-elle raconté lors du débat après la projection en avant-première, les élans peuvent être agressifs avec l’homme. Et puis miracle (l’aura de l’acteur qui réussit la scène qu’on n’attendait plus ?) un élan s’est approché de Jean-Pierre Darroussin (pendant qu’Anna Novion hors champ attirait l’attention de l’animal pour qu’il ne fixe pas la caméra) et ils se sont fait face, ont échangé un gentil bisou avant que l’élan s’éloigne et fasse une belle volte. Autant dire qu’Anna Novion a bien faire rire le public qui se rappelait cette scène. Mais une scène un peu anecdotique, puisque même si elle a amusé, elle n’est pas indispensable et pas aussi irrésistible que d’autres.

J’ai vu ce film avec le seul a priori d’avoir été agréablement surpris par « Les grandes personnes » et j’ai longtemps hésité avant de sentir quoi penser de ce film. Le début est plutôt bien mené. On découvre le personnage d’Ernest Toussaint (Jean-Pierre Darroussin) qui est à la tête d’un cabinet d’architectes. Il a de l’énergie, des idées bien arrêtées et il est obnubilé par un concours auquel il a présenté un projet, apparemment audacieux, pour la construction d’un musée. Du coup son entourage n’est pas à la fête. Il se montre assez autoritaire voire même cassant avec ses employés.

Il n’est pas plus détendu avec sa compagne (petit rôle pour Judith Henry) qui lui fait sentir qu’elle n’apprécie pas qu’il arrive quand ça lui chante. Cela ne s’arrange pas quand il décide de rallier la Suède inopinément, au lieu de la rejoindre pour le week-end. Une affaire personnelle pour laquelle il reste on ne peut plus vague.

Dans son précédent film, Anna Novion faisait déjà partir Jean-Pierre Darroussin pour la Suède (où elle a de la famille). Le film tourne donc au road-movie avec son lot de rencontres. Ernest Toussaint finit par prendre le jeune Magnus (Anastasios Stoulis) en stop. L’avantage c’est que Magnus se débrouille en français. Ernest lui dit qu’ils ne sont pas obligés de parler (cliché : le jeune avec son casque sur les oreilles), mais il ne va pas se gêner pour lui forcer la main afin d’engager la conversation. Besoin d’un fils de substitution ?

On se demande un peu où on va, l’ensemble manque un peu d’allant. Heureusement Anna Novion met en place quelques éléments qui vont tirer vers la comédie de façon totalement inattendue. Le tête-à-tête en donne un avant-goût avec la confrontation du sans-gêne de Darroussin et de la candeur de Magnus. Anna Novion a dit que c’est en les voyant tous les deux au cours du tournage des « Grandes personnes » où Anastasios Stoulis avait un petit rôle qu’elle avait eu envie de les filmer ensemble dans une voiture.

Une idée du potentiel des situations imaginées par la réalisatrice ? Un soir Ernest demande une chambre d’hôtel et une employée suédoise l’accompagne jusque dans le couloir. Elle lui ouvre la porte de la chambre et il jette un coup d’œil. Lui « It’s not possible. It’s not a room, it’s a cagibi ». Et elle « KGB ??? » Voilà ce qui m’a paru le meilleur du film, le comique amené par des incompréhensions langagières. Ce comique est particulièrement bien rendu dans une partie où Magnus s’improvise interprète dans la voiture d’Ernest, alors qu’ils transportent un biker furieux et blessé. Magnus se trouve entre deux personnes qui ont de bonnes raisons de s’en vouloir. Heureusement (ou malheureusement) pour lui, l’un ne parle que le français et l’autre le suédois. Alors, il traduit comme ça l’arrange…

J’ai trouvé le reste du film assez inégal. Anna Novion a voulu un mélange d’émotions, de non-dit, de rencontres improbables (une scène avec de vrais musiciens fait penser à du Kaurismaki mais elle n’a pas beaucoup d’intérêt) et de révélations du passé des personnages. Il y a aussi une enquête policière en Suède.
J’ai trouvé qu’Anna Novion s’est dispersée. Certes elle montre la Suède, mais elle-même reconnaît qu’elle n’a vraiment voyagé là-bas que pour voir si elle pouvait trouver des endroits correspondant à ce qu’elle avait en tête. De plus, l’écriture du scénario s’est faite en plusieurs étapes, d’abord avec son père dont les idées ne lui convenaient pas, puis avec un scénariste professionnel avec qui elle a longuement discuté, de façon à mettre en évidence ce qui était logique ou non. Elle a d’ailleurs dit que ce qui désormais lui apparaît logique ne l’était pas toujours dans son esprit au moment de l’écriture. Mon impression est donc que ces hésitations se sentent au final. D’où l’intérêt parfois de ne pas trop révéler ses secrets de fabrication.

Mais je ne voudrais pas briser Anna Novion dans son élan… Son premier film et certaines parties de celui-ci montrent qu’elle est capable de bonnes choses. Ce n’est pas si courant un film français capable de faire rire franchement sans la moindre vulgarité.

PS : Kiruna est en Laponie.
Electron
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le 29 janv. 2013

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