Salué par la critique à la Quinzaine des réalisateurs lors du dernier festival de Cannes, Rengaine, le premier long-métrage de Rachid Djaïdini, dénonce le racisme intercommunautaire avec humour et sensibilité.

Dans un parc parisien, une lumière en demi-teinte caresse les feuilles et les visages d’un jeune couple qui se regarde amoureusement. Ils sont ensemble depuis un an et projettent de se marier. Le film pourrait presque commencer par « il était une fois ». Dorcy (Stéphane Soo Mongo), un jeune africain chrétien, apprenti comédien, est follement épris de Sabrina (Sabrina Hamida), une maghrébine musulmane. Cela devrait être simple, et pourtant… La jeune femme a 40 frères pour qui un tel mariage constitue un problème. 40 prismes différents pour appréhender la situation. L’aîné de l’imposante fratrie, Slimane (Slimane Dazi), décide alors de tout faire pour convaincre ses frères d’empêcher leur jeune sœur de se marier.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, Rengaine est loin d’être uniquement un film engagé sur l’intolérance entre communautés. C’est avec beaucoup de subtilité, d’humour et de sensibilité que Rachid Djaïdini traite un sujet encore tabou : celui du mariage entre noirs et maghrébins. Au delà de cette thématique centrale, le réalisateur aborde plusieurs formes de discriminations : du racisme dans monde du travail au rejet de l’homosexualité dans la communauté maghrébine, en passant par la relation amoureuse entre un musulman et une juive. Un grand écart réussi entre conte humoristique et cinéma documentaire, aux accents de tragédie shakespearienne détournée.

Le thème est universel : un homme aime une femme mais leur origine rend leur amour impossible. A l’image d’une rengaine, inlassablement répétée, Slimane s’épuise à tenter de convaincre ses frères : il faut empêcher le mariage de Sabrina. A travers le point de vue des 40 frères, on découvre les multiples facettes d’un Islam contemporain. Des pratiquants les plus convaincus aux moins rigoureux, du dandy au gay, en passant par le petit voyou, chacun y va de son propre refrain, de sa propre rengaine.

L’amour ne suffit donc pas. Et pourtant… Slimane qui exige de sa soeur qu’elle respecte la religion à la lettre, entretient lui même une relation amoureuse avec une juive. Doux paradoxe. « Mais c’est différent, on est des hommes » souligne-t-il à plusieurs reprises au cours du film. A travers des portraits et certaines caricatures maîtrisées, Rachid Djaïdini met en lumière les contradictions et les oppositions au sein d’une même communauté. Il révèle, non sans ironie, qu’au delà du problème religieux, c’est un certain racisme qui anime ses personnages. Alors que tous en souffrent, à l’image de Dorcy qui n’arrive pas à décrocher de rôle.

D’un point de vue esthétique, Rengaine semble imprégné par l’univers de Shadows de John Cassavetes. La recherche de spontanéité dans les dialogues et dans le maniement de la caméra fait surgir de réels moments de grâce et de poésie dans une ambiance jazzy. La désynchronisations bande son/bande image et les faux raccords qui rompent la continuité des mouvements s’opposent à la grammaire classique du cinéma. La fragmentation de l’espace est renforcée par l’utilisation permanente de très gros plans et par une caméra tourbillonnante. L’objectif semble scruter, voire parfois disséquer les corps, les visages ou les mains. Des pratiques qui rappellent les nouvelles vagues française et américaine des années 60 : Cassavetes bien sûr, Godard et même Rohmer. Certains dialogues passent parfois d’un langage savoureux de banlieue à la préciosité du maître du marivaudage moderne, Eric Rohmer. Lorsque, par exemple, un dealer cite soudainement quelques vers de Racine, avec une aisance déconcertante.

Si les acteurs principaux sont remarquables, l’expression des émotions des personnages est parfois disproportionnée. On peut également regretter que cette thématique intemporelle, qui resurgit avec force dans notre société, soit finalement traitée avec une esthétique peu novatrice. Les mouvements nerveux de la caméra et les faux raccords omniprésents sont parfois étourdissants.

Malgré certaines maladresses, inévitables dans un premier film, Rachid Djaïdini réussit à faire rire d’un sujet brûlant qu’il traite de façon charmante. Le personnage libéré et déterminé de Sabrina est porteur d’espoir, tout comme le parcours initiatique de Slimane. Le grand frère prend peu à peu conscience qu’il est possible de s’affranchir du poids des traditions et d’aller vers l’autre.
cbloch
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le 23 nov. 2012

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