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Renoir
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Renoir

Film de Chie Hayakawa (2025)

En allant voir Renoir, j’ignorais totalement que Lili Franky jouait dedans. C’est un acteur que je n’avais pas croisé depuis un moment. Il fait partie des quelques-uns, comme Kôji Yakusho, qui m’ont très tôt marqués et avec lesquels j’ai découvert et appris à aimer le cinéma japonais (vers 2017, 2018, année de la Palme d’or pour Une Affaire de famille de Kore-eda, avec qui il a souvent collaboré).

Aussi, le reconnaître au détour d’un plan au début du film, c’était un peu comme des retrouvailles avec un oncle lointain qu’on n’avait pas revu depuis un moment ; l’oncle rigolard, avec ses chemises bariolées, son rire communicatif, son petit bouc et sa moustache caractéristiques… Sauf qu’immédiatement, un trouble s’installe : on le reconnaît, mais c’est un autre homme. Un peu moins d’une décennie s’est écoulée. Il a pris un coup de vieux, il porte des tenues tristement ordinaires, il s’est rasé, il ne rit plus tant… La vieillesse s’est installée, la maladie avec. C’est le coup de génie du film que de prendre l’acteur japonais le plus drôle du cinéma japonais contemporain pour nous faire pleurer.

De fait, c’est bien à lui qu’est réservée la scène la plus puissante du film. Une scène longue (relativement à son importance narrative, totalement nulle), trop longue, à plus forte raison dans un film qui a par ailleurs le défaut de ne pas laisser suffisamment vivre ses scènes, de les fragmenter, laissant un peu l’implication émotionnelle du spectateur sur le carreau… Clairement, cette scène surnage - le mot est à-propos, car l’eau y joue justement un rôle essentiel.

Celle-ci est quasi-directement juxtaposée à l’élément feu. Nous assistons à une courte séquence musicale - le seul moment “clipesque” du film, quand la musique intra et extra diégétique coïncident, un moment de joie pure apparemment -, durant laquelle Fuki, en camp d’été, danse avec d’autres enfants autour d’un grand feu de joie. Ellipse ; il fait nuit, et Fuki est maintenant assise face au feu, pensive. Contrechamp sur le feu, dont les étincelles s’envolent et se consument dans un fondu enchaîné qui nous entraîne à l’hôpital. Le père - Lily Franky -, en phase terminale de son cancer, arpente avec difficulté un couloir désert, soutenu par sa potence pour poche de perfusion. Il passe devant la vitre de la salle de pause des infirmières, qui rient aux éclats, indifférentes à sa présence - il est déjà un fantôme, dont on aperçoit le reflet à demi-transparent dans la vitre. Il se rend dans une salle de bain ; on peut se demander pourquoi, puisque d’autres séquences nous montreront qu’il en a une dans sa chambre (c’est là que Fuki trouvera son rasoir et le reniflera, quand il faudra débarrasser la pièce) ; sans doute pour aller pisser. En fait, peu importe : ce qui compte ici, c’est la marche en elle-même, le déplacement, sa lenteur, sa pénibilité.

Face au lavabo, il entame ce geste, beau car simple et inutile (du point de vue de la narration) : il se rince lentement les mains. La caméra (nous sommes en trois-quart dos, à peu près à hauteur de taille) remonte en tilt vers le reflet de son visage dans le miroir, qu’il fixe alors. Là, à mesure que le cadre se resserre (est-ce qu’il se resserre vraiment ou est-ce que ça n’était qu’une impression ?), le son de l’eau s’amplifie, jusqu’à envahir tout l’espace sonore. Ce son, c’est celui de l’écoulement de l’eau dans le siphon, un son guttural, organique ; presque un râle. Mais dont la source, désormais exclue du cadre, se trouve associée plutôt à ce visage fatigué face à nous.

Le spectateur est alors amené à convoquer cette information lancée quelques séquences plus tôt : le père, réagissant à la remarque d’un collègue venu le visiter, et qui le trouvait amaigri, lui montrait son ventre bombé, “rempli d’eau” en fait, un effet secondaire de cette monstrueuse et silencieuse maladie. Silencieuse, mais subitement sonorisée, dans cette séquence du lavabo. Ce râle du lavabo, c’est la poche d’eau de ce ventre qui perce, ce corps malade qui se vide ; le spectateur peut même un instant croire voir le visage de Franky réellement s’affaisser, impression renforcée par l’aspect creusée de ces yeux qu’on a connus plissés et rieurs. À cet instant, ce visage, c’est celui de cet oncle, du père, de l’acteur vieillissants, abattus.

Par cet usage bouleversant du son (qui n’a rien d’exceptionnel dans le film, parce qu’on sent que les motifs sonores sont vraiment pensés par Hayakawa : les séquences où le son de la télévision envahit l’espace, en dépit de la cohérence spatiale ; l’importance des voix téléphoniques ; les hennissements de chevaux que la petite Fuki aime reproduire…) le film organise, avec une honnêteté presque brutale, le face à face d’un homme avec sa mortalité imminente.

VizBas
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le 22 nov. 2025

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